L'histoire de Dole passe par celle des sièges que la ville eut
à soutenir. Elle ne devint définitivement ville française
que sous Louis XIV. Jusque là, elle fut capitale de la Comté
(la "Franche-Comté"). Le 17 septembre 1674 le traité
de Nimègue réunissait définitivement la Franche-Comté
à la France.
Commencée en 1509, la construction de la nouvelle collégiale,
édifice gothique, dura jusqu'à la fin du 16e siècle. Elle
est dotée d'un riche mobilier Renaissance jouant avec la polychromie et
un vocabulaire ornemental très fleuri. La tribune de l'orgue, réalisée
en 1572, utilise le marbre rose de Sampans, le calcaire blanc de Saint-Lothain
et la pierre noire de Miéry. Ancien jubé familial placé
au fond de l'église, elle est structurée par deux arcs en plein
cintre, flanquée de colonnes cannelées corinthiennes et entièrement couverte
de motifs décoratifs.
Avant même que la collégiale ne soit achevée, un
orgue y est placé dès 1565 sur la tribune du transept côté
Épître.
Au début de 1688, le devis de réparation d'un certain F.
Dufay nous apprend que l'orgue avait alors 2 claviers, Grand-Orgue et
Positif de dos.
En fait, aucun travail n'y fut fait jusqu'en 1730 quand deux organistes
des principaux couvents de la ville ne peuvent que constater le délabrement
total de l'instrument. Il n'était composé à cette
date que d'un seul clavier de 45 touches - CDEFGAH à c"' -
avec première octave courte et des jeux suivants:
Montre 8'
Bourdon 8'
Prestant 4'
Doublette 2'
Nasard 2'2/3
Tierce 1'3/5
Flageolet
Cornet (d'-c"')
Trompette
Pédale de Flûte 8'
Le positif semble avoir disparu.
"Le Grand Riepp de Dole":
Ce n'est qu'après la conquête de 1674 que les Dolois lancèrent
un appel d'offre pour la restauration de l'orgue et en 1750 que le Magistrat
de Dole (les échevins) décide la construction du Grand Orgue
de la Collégiale Notre-Dame.
Jusque là, la rivalité entre gens d'église et notables
- l'église étant à la fois paroissiale et collégiale
- n'a pas permis un développement favorable des arts et d'une musique
d'église de qualité. C'est dans une ambiance musicale de
la plus grande médiocrité que sera décidée
la construction de l'orgue de Riepp, plus pour la décoration visuelle
et sonore de l'église que pour la musique elle-même.
Cette construction dure jusqu'en 1754 et l'instrument restera dans son
état d'origine jusqu'en 1778.
L'orgue
est placé sur le "grand jubé" au portail ouest
de l'église. Jubé à l'origine privé, mais
dont les héritiers ont fait don à la communauté.
Dès 1750 Riepp commence le montage dans le buffet réalisé
par l'atelier de menuisiers-sculpteurs Attiret et Desvosge d'après
un dessin de Karl-Joseph lui même. On notera que le dessin du grand
buffet de l'orgue de Dole est l'archétype de toute une série
de buffets de la dynastie des Callinet.
Dès Pâques 1753, le jeune organiste Jean-François
TAPRAY, nouvellement engagé, peut jouer l'orgue presque terminé.
L'orgue de Riepp comptait six sommiers:
- deux pour le GO et le Récit en gravures intercalées,
- deux pour la pédale,
- un pour le positif,
- un pour l'Écho.
L'absence de documents et les travaux effectués ultérieurement
rendent délicat l'énoncé de la composition exacte
d'origine.
Au Grand-Orgue:
Les grands sommiers diatoniques avec ravalement au A° (LA 0) portaient
20 chapes pour les jeux du GO et du Récit. Ce dernier, de g à
d''': (sol 2 à ré 5).
Rappelons la correspondance des notes
Allemandes et Françaises:
C = Ut 1
c = Ut 2
c' = Ut 3
c" = Ut 4
c''' = Ut 5
Au Positif:
Le positif comportait également un ravalement : A°-C-D à
d'''.
C'est sur l'actuel sommier d'Écho qui est l'ancien sommier du positif
que peut se lire l'ordre des anciens jeux:
Écho:
Dans le soubassement, Cornet V, de f à d'''. Comme il n'en reste
aucune trace, peut-être Riepp n'y avait-il placé qu'un dessus
de Flûte.
Pédale:
Du ravalement A° - C à f'.
Positif A°-C-D à d'''
Grand-Orgue A°-C-D à d'''
Récit g - d'''
Écho f à d'''
Pédale A°-C à f'
Montre 8'
Prestant
Cornet (non posé)
Bourdon 8'
Flûte 4'
Dessus de Flûte 8'
Nasard
Quarte (non posée)
Doublette
Tierce
Larigot
Fourniture III
Cymbale III
Trompette
Clairon
Cromorne (non posé par Riepp)
Montre 16'
Montre 8'
Cornet V c' - d'''
Bourdon 16'
Bourdon 8'
Prestant 4'
Flûte 4'
Grosse tierce 3'1/5
Nasard 2'2/3
Quarte de Nasard 2'
Doublette 2'
Tierce
Fourniture IV
Cymbale III
Voix humaine
Cromorne
Trompette
Clairon
Sur les 39 jeux que Riepp a effectivement placé, 19 sont actuellement
plus ou moins bien conservés, ce qui est considérable eu
égard aux restaurations successives de l'instrument.
Fournitures:
En extrapolant à partir de l'existant, on peut proposer, sous
toutes réserves, comme composition originale:
On a exactement la même chose au GO et au positif, au rang grave
de la fourniture du GO près.
Plafond ascendant ne dépassant pas le 1/8e de pied, d'où
dernière reprise sur une octave entière.
Même système de reprises de la fourniture et de la cymbale,
mais pas sur les mêmes notes; sur les FA pour la fourniture et sur
les UT (+ le premier FA) pour la cymbale.
Les transformations successives.
Dès avant la fin du 18e siècle, l'orgue de Dole a été
modifié par les successeurs de Riepp.
Une première fois à la suite de dégâts occasionnés
par la foudre en 1778. En plus d'effectuer les réparations nécessaires,
Rabiny et Weber commencèrent à faire évoluer
le choeur d'anches vers l'état que nous connaissons actuellement.
Ils ont proposé "un jeu de Chalumeau qui y manque" -
le Hautbois du récit - qui n'avait jamais été posé
et y installeront finalement une Trompette.
Ils y auraient transformé le Cromorne et la Voix-Humaine du même
GO en deux trompettes supplémentaires, Trompettes que Callinet
retrouvera pour en proposer le changement de l'harmonie.
Plus conséquent, ils ont porté à 9 rangs le Plein-Jeu
du Grand-Orgue en ajoutant 2 rangs à la Cymbale et probablement
modifié la disposition des reprises.
Moins de 10 ans après, François Callinet va imprimer
sa marque d'une façon fondamentale, notamment au niveau des Pleins-Jeux
et du choeur d'anche, les tentatives de Rabiny et Weber ayant été
probablement décevantes.
Décevantes au niveau de l'alimentation des jeux d'anches, avec
deux trompettes supplémentaires dans le Grand-Jeu, puisque Callinet
refait entièrement les soufflets et augmente de 9 lignes la profondeur
des gravures des sommiers du Grand-Orgue en flipottant tous les barrages.
("Barrages" ou "Barrures": ce sont les parois des
gravures). Les gravures ont aussi été rallongées
afin de ménager la place nécessaire à la pose d'un
jeu de Bombarde dès le premier UT.
De même au positif, les gravures ont été augmentées
de 7 lignes en profondeur. François Callinet a entièrement refait tous les jeux
d'anches, y compris les corps, constituant ainsi le Grand-Choeur d'anches:
- GO: Bombarde, 1e Trompette de grosse taille, 2e Trompette plus fine
(basson-trompette), Clairon.
- Pos.: Trompette, Clairon.
- Ped.: la Bombarde de 16 de Riepp, Trompette et Clairon qui ont conservé
les corps de Riepp.
Au récit, il remplace la Trompette de Rabiny par un Hautbois et
y place une Flûte de 8'.
Au positif, il place un Carillon de 3 rangs en utilisant la chape du dessus
de Flûte 8' et en intercalant celle-ci dans la troisième
octave de la Montre.
Les chapes de Cromorne, de Cornet et de Quarte restent vides.
Dans son état actuel, l'orgue de Dole est bien plus Callinet
qu'il n'est Riepp.
Après la période révolutionnaire qui a vu la collégiale
transformée en temple de la Raison, l'organiste Antoine Lerouge,
aussi un peu facteur d'orgues, complète l'instrument avec des jeux
provenant de l'orgue Riepp du couvent des Bernardines.
Il ajoute au positif un Cornet, une Trompette et un Basson sur les trois
chapes vides.
Le Basson ne durera pas longtemps et c'est probablement Chavan
qui le remplaça par le Cromorne qui existe toujours et qui pourrait
bien provenir aussi de l'orgue du Couvent des Bernardines.
Stiehr & Mockers.
En confiant, en 1825, l'orgue à Ignace Müller, les
Dolois ont, sans le savoir, pris une assurance contre la destruction de
l'orgue de Riepp. Bien qu'ayant écarté définitivement
de la tribune de Dole les Callinet de Rouffach, Müller ne fit rien
faire d'irrémédiable par les frères Stiehr
auxquels il confia le soin de réaliser les transformations dont
il avait envie:
- en 1830 un troisième clavier complet prend la place du dessus
de récit,
- en 1854 c'est une refonte totale de l'instrument. Le jeu de tierce disparaît,
le Plein-Jeu perd plusieurs rangs, le choeur d'anches de Callinet est
profondément remanié et des jeux de Gambe prennent place
à tous les claviers.
Cette disposition restera inchangée jusqu'en 1959. Müller, s'il l'avait voulu, aurait pu faire placer une machine
Barker et faire transformer beaucoup plus radicalement l'orgue de Dole
en acceptant les propositions de Danjou et Ducroquet. Sans
être trop freiné dans ses désirs novateurs, Ignace
Müller a transformé l'orgue sans en altérer irrémédiablement
le caractère.
Joseph Stiehr - 1830
Le but recherché est de doter l'orgue d'un troisième clavier
complet et d'augmenter le nombre de jeux de fond à la pédale
en y installant notamment deux jeux de 16 pieds ouverts.
Composition de l'orgue après cette transformation:
(Disparus: Larigot, Tierce,
La flûte 4' est passée au GO,
Le cromorne est neuf,
La flûte 8 vient de l'écho
Le Cornet vient du récit)
* Montre 16'
* Montre 8'
* Cornet V
Principal 8' (c-d''')
* Bourdon 16'
* Bourdon 8'
* Prestant 4'
* Doublette 2'
* Grosse tierce 3'1/5
* Nasard 2'2/3
Flûte 8'
* Quarte 2' (dessus)
* Tierce 1'3/5
* Fourniture IV
* Cymbale V
* Bombarde 16'
* 2e Trompette 8'
* Clairon 4'
* 1e Trompette 8'
(La flûte 8 est la flûte 4 du positif grossie
en 8', qui vient remplacer la flûte de Callinet.
Le principal 8' est posé sur une chape de l'ancien récit,)
(Le pédalier à la Française
est remplacé par un pédalier Allemand.
4 sommiers neufs remplacent ceux de Riepp, avec 1er C#.
Les palmes qui encadrent les grandes tourelles ont été
réalisées à cette date pour camoufler les basses
de la flûte de 16 disposées à l'extérieur
du buffet).
* : Jeux du 18e siècle
La console a été élargie
pour abriter les tirants de registre supplémentaires. Les claviers
ont été changés pour tous les monter au fa5 mais
plaqués avec les placages d'os des anciens claviers de Riepp.
Le nombre de soufflets est porté à 8.
Xavier Stiehr, & Mockers, 1854-55
Les travaux entrepris à cette date constituent la suite logique
de ceux effectués en 1830.
Cette restauration apporte enfin une solution au problème de la
disposition des sommiers du Grand-Orgue où les quatre jeux d'anches
ont été mis en place par François Callinet sur une
place très restreinte.
Pour pouvoir étendre les claviers au FA aigu comme le récit
de 1830, Stiehr doit ajouter 4 gravures au sommier de GO. Pour gagner
de la place, Stiehr propose de sortir les sommiers de pédale du
grand buffet et d'ajouter au GO deux sommiers de 8 double gravures dans
le grave. Ainsi il résout deux problèmes, celui de la place
pris par les anches trop serrées sur le GO, et celui des grands
tuyaux de 16 pieds à la pédale. La pédale débordant
alors plus largement, c'est là que l'orgue a reçu les draperies
latérales imitation bois, d'un goût discutable, qui la camouflent.
Ainsi, il a même la place d'ajouter une gambe de 16' au GO.
Au positif un sommier neuf est fourni avec 6 basses au centre, en mitre,
et la suite par ton en repartant des extrémités.
L'ancien sommier de positif passe à l'écho, l'ancienne
laye sciée et une nouvelle placée dessous. Il est disposé
à l'extérieur du buffet au fond de la tribune et enfermé
dans une boîte expressive.
Il n'y a aucune tirasse et les accouplements restent "à tiroir".
Stiehr a remplacé les huit soufflets cunéiformes par une
soufflerie à pompes Walker. Cette soufflerie ne valait rien et,
dès l'année suivante, Stiehr ajoute deux pompes.
On y relève la disposition suivante (en rouge, les modifications):
* : Jeux du 18e siècle - Jeux 1830
- Jeux nouveaux
Diapason haussé d'un demi-ton
par décalage de tous les tuyaux anciens (on a ainsi tous
les premiers Ut#). Seuls les jeux de 1830 au Récit ont été
recoupés. Toute la tuyauterie demeure coupée au ton
et les Bourdons à calotte soudée.
Le Plein-Jeu est considérablement modifié lors de cette
restauration.
Deux rangs disparaissent au positif et Stiehr recompose une fourniture-cymbale
de 4 rangs sur une seule chape.
Au GO, les deux registres du Plein-Jeu demeurent mais 1 rang est supprimé
pour fournir des tuyaux nécessaires aux compléments de c'''
à f'''.
Plus tard Stiehr remplace le clairon du récit par une clarinette
:le cromorne de 1830 qui avait remplacé l'ancien cromorne du positif,
lequel y retrouve sa place.
Une voix céleste remplace le jeu de Violon & violoncelle.
A l'écho, une trompette est ajoutée sur une chape restée
libre.
Cette composition subsistera jusqu'en 1959.
La remise en ordre de 1960:
La réunion autour de l'orgue de Dole de Michel Chapuis,
né en cette ville en 1930, de Jacques Beraza, titulaire
depuis 1955, et de Philippe Hartmann, allait aboutir à des
décisions audacieuses dont le résultat fut une série
de modifications de la disposition de la tuyauterie afin de rapprocher
l'instrument de son style d'origine.
- Remise en ordre du choeur d'anches de Callinet que Stiehr avait
quelque peu dispersé et sa restauration par Chéron
et Hartmann.
- Les gambes et les fonds de 8' importés en surnombre par Stiehr
furent retirés et les jeux de tierce reconstitués au positif
et au Grand-Orgue.
- La tuyauterie du cornet de récit (dont le registre est coincé!)
a complété les dessus des jeux de mutation.
- La voix humaine à double cône du récit (Stiehr 1855)
a été placée au positif.
Dans les années 1960-70, l'analyse plus complète de la tuyauterie
ancienne a permis de reconstituer le nasard, la quarte et le bourdon de
8' du GO.
Ainsi se trouve être actuellement l'orgue de la collégiale
de Dole.
On notera qu'un telle opération qui était déjà
une gageure il y a 50 ans serait maintenant irréalisable: avant
de toucher au moindre tuyau de Gambe de Stiehr on prendrait l'avis contradictoire
d'une demi-douzaine "d'experts".
Toutefois il est impensable de vouloir revenir à l'orgue de Riepp
pas plus qu'il n'est souhaitable de supprimer les ajouts des Stiehr.
Seule une solide remise en état s'impose.
Elle est en cours.
Dans trois merveilleux enregistrements Michel CHAPUIS a exploité
les trois visages de l'orgue de Dole:
(Editions "Plenum Vox")
1 - Le visage Allemand, qui subsiste de la construction
de Karl Joseph Riepp,
Ecouter le choral "Lobt Gott ihr Christen allzugleich" BuxWW
202 de BUXTEHUDE - 2 Mo
2 - Le visage Français, issu des travaux de François
Callinet,
Ecouter le "Tapage" du livre de Mr BALBASTRE de St Jean Delosne
1770 - 1 Mo
3 - Le visage Romantique, avec les ajouts des frères
Stiehr.
Ecouter la fugue de la sixième sonate de MENDELSSOHN - 2,3Mo
Michel CHAPUIS à l'orgue de DOLE. François COUPERIN.
Benedictus de la messe des Paroisses.