ABéCéDaire de l'orgue

P comme PARIS

Saint Séverin

L'orgue soixante-huitard

 

 

L'église Saint Séverin est un des plus beaux joyaux du Gothique flamboyant. Elle est célèbre pour son pilier axial à nervures torses du déambulatoire sur lequel viennent se greffer les 14 arêtes de la voûte..

Elle tire son vocable d'un solitaire qui avait établi là son ermitage sur la rive gauche de la seine, au VIe siècle. C'est de lui que le petit-fils de Clovis voulut recevoir l'habit monastique en 526.
Plus tard, on associa dans une même vénération un autre Saint Séverin, Abbé lui, venu à Paris pour guérir Clovis d'une fièvre maligne et qui mourut à Château-Landon.
L'oratoire qui fut bâti là, on ne sait pas trop en l'honneur duquel des deux, fut détruit par les Normands.
Il ne subsiste aucun vestige antérieur au XIIIe siècle.

La rive gauche étant "l'Université", par opposition à la "Cité", l'importance de la paroisse allait toujours croissant. On commença par élargir l'église en lui adjoignant de nouveaux bas-côtés. Détruite, puis reconstruite au XVe siècle, il ne subsiste que le deuxième bas-côté méridional et les trois premières travées de la nef. A quelques détails près, l'église est telle que nous la voyons aujourd'hui depuis le début du XVIe siècle. Du XIIIe siècle subsiste aussi le portail qui n'est pas d'origine. Il vient d'une église, détruite, de la Cité et a été transplanté sous Louis-Philippe.
L'église voit, pendant six siècles, tout ce que l'Université de Paris compte d'hommes illustres. Aujourd'hui encore, Saint Séverin est une paroisse d'étudiants.

L'Orgue

Des orgues sont connues à Saint Séverin depuis 1368, don du Maître Regnault de Douy, "Escolier en Théologie de Paris et gouverneur ès grans escoles de la parouesse Saint Séverin". Elles sont petites mais d'une sonorité si agréable que l'on "cuydait ouîr les Anges du Paradiz".

Cet orgue fut remplacé au début du XVIe siècle, dans l'église reconstruite. Cet instrument de la Renaissance était placé sur le côté du chœur et clos de volets peints.

Au début du XVIIe siècle, Valeran de Héman, qui travaille à l'orgue de Notre-Dame, le dote d'un clavier de Récit commandant le Cornet du grand clavier.
Ce n'est qu'en 1626 que l'organiste Duprez obtient la construction d'un Positif dans lequel Valeran de Heman place 9 jeux et en profite pour polir la Montre, refaire la Voix-Humaine sur un registre coupé, installer une Pédale de 12 notes sur un sommier neuf : Flûte 8' en bois, Trompette.

Successeurs de Valeran De Heman, les Thierry entretiennent l'orgue. En 1670 les fils refont les 5 soufflets du vieil instrument alors que Jean Denis, organiste récemment agréé, réclame la réfection totale de l'instrument. Le marché est passé le 9 novembre avec Charles et Alexandre Thierry mais l'orgue ne sera livré qu'en avril 1673 après une longue procédure qui opposa facteurs et experts, notamment au sujet de sommiers longs de six pieds que le buffet ne pouvait contenir.

Positif, 48 notes
Grand Clavier 48 notes
Récit 25 notes
Écho 27 notes
Bourdon 8'
Prestant
Flûte 4'
Nasard
Doublette
Tierce
Fourniture III
Cymbale III
Traversine
Cromorne
Bourdon 16'
Montre 8'
Bourdon 8'
Prestant
Flûte 4'
Nasard
Doublette
Quarte de Nasard
Tierce
Fourniture
Cymbale
Trompette
Clairon
Voix-Humaine
Cornet (du GO par 25 gravures ajoutées au sommier) Cornet
Pédale 30 notes, ravalement au La :
Flûte 8'
Trompette 8'
2 tremblants, 2 Rossignols, Tirasse mobile, Accouplement.

 

Une carte postale !XVIIIe

En 1729, c'est un instrument fort délabré qui échoit à Michel Forqueray qui abandonne pendant plusieurs années la moitié de son traitement pour les réparations les plus urgentes.

Il faut attendre 1745 pour que la construction d'un orgue neuf sur une tribune au fond de la nef soit décidée. La menuiserie du buffet est confiée à François Dupré et la sculpture à Jean-François Fichon. Tribune, buffets et balustrade sont d'une magnifique unité de style Louis XV.
Sur la tourelle centrale du Positif est couché l'Agneau pascal.

Le Facteur Claude Ferrand fournit un instrument neuf en réutilisant les jeux anciens en bon état. Ce "Grand Seize pieds" fut considéré comme l'un des plus beaux de la capitale, ce qui fournit à Voltaire matière à raillerie :

"Votre sotte voisine et votre voisin, plus sot encore, vous reprochent sans cesse de ne pas penser comme l'on pense rue Saint Jacques. ... Prenez alors une mappemonde ... vous opposerez l'univers à la rue Saint Jacques. Peut-être auront-il alors quelque honte d'avoir cru que les orgues de Saint Séverin donnaient le ton au reste du monde".

Nicolas-Gilles Forqueray succéda à son oncle et se retira à son tour peu après en faveur de son neveu Nicolas Sejean qui tint les claviers jusqu'à la chute de l'Ancien Régime.

XIXe

La Convention fit de Saint Séverin un dépôt de poudres et salpêtre.

Au sortir de la tourmente, l'Orgue refuse tout service.

Appelé, Dallery père remet l'orgue en état, refait les pieds et les écussons de la grande Montre. Il refait à neuf deux Trompettes, le Clairon de la Pédale, le Cromorne du Positif et dote le Récit d'un Hautbois.
Il en alla ainsi jusqu'à la dernière décennie du siècle.

L'orgue classique avait cessé de plaire depuis longtemps et les églises se dotaient d'instruments Romantiques et Symphoniques.

En 1889 les fils de John Abbey furent chargés de la reconstruction de l'Orgue dont seuls 25 jeux furent réutilisés, mais après une réharmonisation irréversible.
Abbey refit totalement les sommiers, la soufflerie et la mécanique. Il installa une console séparée dans le Positif vidé et scié. Pour placer un sommier supplémentaire, la paroi du fond est reculée.
L'organier est habile, la facture est impeccable mais l'orgue est désormais "symphonique". Albert Périlhou est très attaché à l'instrument qu'il tient pendant 25 ans. Sa tribune est ouverte à Gabriel Fauré et à Camille Saint-Saens qui se font une joie d'improviser dans un aussi joli cadre.

XXe

Entre les deux guerres mondiales l'orgue fut déterioré à la suite de la réfection de la grande verrière de la façade.
La guerre de 40 suspendit pour longtemps les travaux envisagés et ce n'est qu'en 1958 que le Père Aumont élabora avec Michel Chapuis un beau projet :

"... Nous avons un buffet classique avec sa façade de Positif séparée. Par conséquent, que le Positif soit rétabli est une condition première et essentielle. Il faut voir le travail dans un grand plan d'ensemble qui soit une reconsidération de l'instrument dans une conception classique et une restitution des plans sonores séparés. Il ne s'agit pas de faire un plagiat du XVIIIe siècle. ...".

Les travaux, terminés en 1964, furent confiés à Alfred Kern et à Philippe Hartmann.

Le plan classique est repris. Le buffet du Positif est reconstruit et abrite un sommier neuf commandé par le premier clavier.
La paroi de fond du Grand-Orgue est remise à sa place. A l'étage, les deux sommiers de Grand-Orgue portent le grand plenum et les anches fortes qui répondent au deuxième clavier.
Au dessus, au centre, le sommier de Récit porte le grand jeu de Tierces et les anches de détail qui répondent au troisième clavier. Le troisième clavier est à la fois complémentaire du Grand-Orgue et de la Pédale, en reprenant l'idée de Jean-Esprit Isnard à Saint Maximin qui a doté le sien de basses servant de Pédale.
Au rez-de-tribune, de part et d'autre de la mécanique des claviers, les deux sommiers de l'Echo sont enfermés dans une boite expressive constituée par le soubassement dont les parois latérales sont munies de jalousies.
Les sommiers de Pédale sont dans les grandes tourelles latérales, perpendiculaires et les grands tuyaux au fond.
Tous les sommiers de Abbey ont été réutilisés et la Pédale dotée de deux sommiers complémentaires, neufs.

Le Plenum est à l'échelle du 16 pieds au Grand-Orgue et au 8 pieds aux claviers secondaires. Aux neuf rangs sur le plan de Dom Bedos du Grand Clavier se joignent ceux de la Cymbale-Tierce de style nordique. La fourniture de Pédale comporte aussi une Tierce.

La tuyauterie ancienne réutilisée par Abbey a été "reclassicisée" : entailles rebouchées et accord au ton. Pour certains aussi peut-être dents grattées.
Les jeux d'anches ont été remaniés en les dotant de rigoles ouvertes.
D'une façon générale, la tuyauterie a été traitée à pieds ouverts avec une pression du vent très modérée : 55 mm pour l'Echo, 60 mm pour les autres claviers et le Pédalier.

La mécanique a été conçue par Philippe Hartmann à partir de la console revenue "en fenêtre". Elle offre la possibilité de l'accouplement de 3 claviers sans que le jeu ne devienne impossible. Il reste même d'une souplesse incroyable bien qu'il faille tirer des doubles soupapes dans le grave.
Les rouleaux d'abrégé sont en alliage léger et les accouplements à "fourchettes" sont constitués de leviers de bois dont les frottements sont réduits au minimum.

"Tenter de décrire le monde sonore de cet instrument ne serait qu'inutile verbiage; l'auditeur jugera sans idées préconçues. ... C'est dans la discipline librement consentie qu'une oeuvre d'art s'épanouit pleinement. ... Ainsi tourné vers l'avenir mais respectueux de son passé, l'art de l'Orgue a retrouvé sa nouvelle jeunesse", écrit Jean Fellot à qui j'ai emprunté l'essentiel de ce texte.

Positif, 56 notes
Grand-Orgue, 56 notes
Résonance, 56 notes
Echo, 56 notes
Quintaton 8'
Montre 8'
Bourdon 8'
Prestant 4'
Flûte à cheminée 4'
Nasard 2' 2/3
Doublette 2'
Tierce 1' 3/5
Larigot 1' 1/3
Fourniture 1' V-VI
Cromorne 8'
Montre 16'
Montre 8'

Flûte conique 8'
Prestant 4'
Doublette 2'
Fourniture 2' - V
Cymbale 2/3' - IV
Cymbale-tierce II
Cornet V
Bombarde 16'
Trompette 8'
Clairon 4'
Bourdon 16'
Bourdon à cheminée 8'
Flûte conique 4'
Grosse tierce 3' 1/5
Nasard 2' 2/3
Quarte 2'
Sifflet 1'
Tierce 1' 3/5
Cornet V
Musette 16'
Voix Humaine 8'
Hautbois 4'
Viole 8'
Unda Maris 8'

Bourdon 8'
Principal 4'
Flûte à fuseau 4'
Doublette 2'
Quarte 2'
Sesquialtera II
Cymbale 1' - V
Trompette 8'
Clairon 4'
Pédale, 30 notes

Tremblant positif
Tremblant écho
Tirasse II - Tirasse III
Accouplement I / II - III / II - II / III - IV / III
Expression écho
Appels :
- Anches pédale, - Mixtures pédale,
- Anches GO, - Mixtures GO,
- Anches et mixtures positif,
- Anches et mixtures écho.

Tuyaux : +/-  Ancien - Ancien remanié - Abbey - Neuf.

Flûte 16'
Soubasse 16'
Bourdon 8'
Principal 8'
Principal 4'
Nachthorn 2' (à cheminée)
Fourniture V
Cymbale IV
Douçaine 32'
Bombarde 16'
Trompette 8'
Clairon 4'

Bien sûr, ce travail n'eut pas l'heur de plaire aux Mandarins de la commission des Orgues de l'époque et, en 1967, "une plume fort autorisée" déversa son venin dans un article mettant en cause les "facteuraillons" et les "amateurs" à la base de cette "restauration".
Les "Organistes de Saint Séverin" apportèrent une réponse sur cette oeuvre apparemment mal comprise. En résumé, nous en tirons les lignes suivantes :

"Saint Séverin n'a jamais été un instrument historique. Parler de restauration à propos de cet orgue, c'est vouloir fausser les données d'un problème qui préoccupe aujourd'hui tous les organistes ou amateurs d'orgues. Il n'y subsistait ni mécanique ni sommiers anciens, le positif avait été vidé de son contenu. Un certain nombre de jeux anciens avaient été entièrement revus et corrigés par Abbey. Seuls le buffet et la Montre pouvaient être considérés comme historiques et il n'est qu'à l'égard de cette façade que l'on peut parler de restauration.
Nous ne l'avons jamais caché, Saint Séverin est un instrument
neuf. Pour lui conviendrait parfaitement l'appellation de néo-classique si celle-ci n'avait pas été, hélas, passablement galvaudée au cours des années passées. Les concerts que nous organisons à Saint Séverin ne sont pas bloqués sur une esthétique unique. Toutes les écoles sont interprétées sur cet orgue, voire des pages romantiques. La musique contemporaine y trouve aussi fort bien sa place
".
(Sauf erreur, "Volumina" de Ligeti y fut créé, entre autres).

On était en mai 1968 !

Composition des Pleins-Jeux :


Ecouter le grand plein-jeu : Lobt Gott, ihr Christen allsugleich - JS Bach - OrgelBuchlein -
Michel Chapuis, en mars 1964 - Harmundia Mundi, Musique de tous les temps.
- Positif : M8, P4, D2, Plein-Jeu 5-6 rangs
- G.O. : M8, P4, D2, Cymbale 4 rangs, Cymbale-tierce 2 rangs.
- Pédale : S16, Pr8, Pr2, Fourniture, Cymbale, Bombarde 16

 

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