ABéCéDaire de l'orgue: S comme Soissons - L'orgue de la Cathédrale

 

Aujourd'hui, S comme Soissons.
J'aurai pu vous parler aussi de Souvigny, ça sera pour plus tard. Il faut bien changer un peu.

Si je vous parle de Soissons, c'est pour rendre quand même hommage au Clicquot que les "boches" nous ont détruit en 1918 et pour présenter un instrument qui, s'il rend nerveux certains d'entre vous, s'il donne envie de gerber à d'autres, n'en n'est pas moins une étape intéressante de la facture d'orgue du 20e siècle.

Je n'ai pas retrouvé beaucoup de détails concernant l'ancien orgue de la Cathédrale de Soissons si ce n'est une carte postale de l'époque et sa date de construction par François-Henri Clicquot.: 1766.
Il s'agissait en fait d'une reconstruction, l'instrument d'origine ayant été construit en 1619 par Crépin Carlier, transformé en 1690 par Robert Clicquot, restauré en 1725 par Thierry.

Il a été finalement reconstruit par Merklin en 1892.
Compte tenu de ce dernier élément, il n'y a peut-être pas grand chose à regretter mais on ignore la composition à l'issue de ce travail !

A priori, Merklin aurait conservé une grande partie de la tuyauterie.

D'aucun pensait qu'il était possible de le retaper après sa destruction en 1918, je pense honnêtement que non, avec pièce ci-jointe à l'appui.

En ce qui concerne l'orgue "moderne", je laisse la plume à son titulaire - Vincent Genvrin - qui y a commis un enregistrement assez intéressant des "tableaux d'une exposition".

" L'orgue de la cathédrale de Soissons, complètement ruiné lors de la première guerre mondiale, ne fut reconstruit qu'en 1956.
Son créateur était un facteur hors normes, connu depuis les années (19)30 pour ses talents d'harmoniste et l'intérêt qu'il portait à l'orgue classique, et qui allait signer là son dernier ouvrage : Victor Gonzales.
Sa traction mécanique avec machine Barker est une exception en ces années (19)50. Victor Gonzales était le dernier à faire usage de ce système qui tombera en désuétude après lui.

(Nota : Machine Barker, système pneumatique d'aide à la traction mécanique des notes destiné à alléger le toucher des claviers)
.
La traction des registres est électrique pour permettre des combinaisons ajustables, de même qu'à la pédale pour autoriser deux séries de jeux en extension (flûtes et bourdon). (Nota : Jeux en extension, un seul rang de tuyaux de 5 ou 6 octaves pour obtenir par "emprunt" ou par extension les registres de 16, 8 et 4 pieds, par exemple).

La composition, établie par Norbert Dufourcq, est presque anachronique pour l'époque.
Nombreux fonds de 8 pieds - flûtes harmoniques, diapason, salicional - sans doute réclamés par le titulaire de l'époque, le chanoine Doyen, élève de Louis Vierne.
Sur le plan de l'harmonisation on remarque une tendance au raffinement, à la douceur, caractéristique, là encore, de l'avant-guerre.
Cet engouement pour l'orgue subtil et confidentiel est mal compris aujourd'hui. ...
"La personnalité de Victor Gonzales s'est inscrite tout naturellement dans ce mouvement tout en apportant quelques idées neuves. Son goût pour les jeux d'anches à l'ancienne et son talent pour les intégrer à un ensemble moderne vont détourner les organistes des anches orchestrales, considérées désormais comme de pâles succédanés de l'orchestre. Il introduit en particulier les anches douces à l'allemande - régales, chalumeaux, ranquettes.
Victor Gonzales va aussi jeter l'anathème sur certains excès de la facture industrielle "à l'américaine", en particulier le gigantisme, les extensions (sauf à la pédale), les accouplements d'octaves, etc. Il se réclame de la tradition de Cavaillé-Coll qui bénéficie à l'époque d'un net retour en faveur.
Se réclamer de Cavaillé-Coll tout en donnant la préférence aux timbres anciens n'était pas paradoxal. ...
"Cet équilibre entre tradition et modernisme, la facture française ne le retrouvera pas de sitôt, et sans doute le cherche-t-elle encore.
Les conceptions en matière de timbre évoluent rapidement.
Le goût pour les mixtures puissantes, l'appauvrissement du fond d'orgue, marquent la période des années (19)50; la traction électrique se généralise.
L'énorme chantier des reconstructions va apporter une banalisation de la facture.
On comprend alors que de jeunes organistes s'insurgent contre cette évolution et réclament un retour à la traction mécanique directe. Les timbres doux et moelleux, l'harmonisation discrète et raffinée ont cependant bien fait leur temps.
Il est aisé de constater que l'orgue de Soissons, loin de suivre cette évolution, relève au contraire d'une esthétique déjà obsolète en 1956.
Quelque soit la polémique concernant la paternité réelle ou stylistique de l'orgue de Soissons, on peut juger de l'exceptionnelle qualité, en particulier sonore, de cet instrument."

Pour ma part, je rejoins assez cette opinion et estime que Victor Gonzales était un homme de goût quand il s'agissait d'orgues neufs.
L'orgue de Soissons n'est pas un orgue comme les autres de sa génération.

Une anecdote : Vers 1985, l'orgue de Soissons marque des signes de fatigue assez évidents au niveau de la traction électrique des jeux.
Un devis de remise en état fut demandé à la société Gonzales qui a conclu à la nécessité d'une restauration totale.
Réaction vive du conseil de fabrique : "Nous avons fait construire par Clicquot un orgue pour 200 ans, il a disparu en 1918 en parfait état de marche. Nous avons demandé un orgue neuf en 1956 pour 200 ans et s'il doit être restauré après 30 ans de service, c'est qu'il y a malfaçons. Nous allons porter cette affaire devant la justice".
L'orgue a été réparé sans restauration ! Juste un dépoussiérage.

Retour Abécédaire Retour Accueil