Un orgue géant à deux visages

D'après: "Les Facteurs d'Orgues Français" N°16

Le Tokyo Metropolitan Art Space est un complexe comprenant 4 salles de représentation offrant de 300 à 2000 places et une dizaine de salles de réunion, de conférence et d'exposition.

Dans une ville comme Tokyo qui compte environ 20 millions d'habitants (avec les environs) il peut y avoir une centaine de concerts par jour dont plusieurs par semaine avec un orgue. On compte pas loin de 400 orgues sur le territoire nippon et, bien que la plupart de ces instruments soient construits dans des églises chrétiennes, de nombreuses salles publiques souhaitent avoir le leur. Le premier organier à avoir construit un orgue d'esthétique française fut Schwenkedel vers 1970. D'autres constructions furent confiées à des Allemands, Hollandais, Danois...
Le deuxième instrument Français fut celui de Marc Garnier, en 1983, pour l'université de Kobé, suivi d'une trentaine d'autres instruments dont un Koenig à Osaka.

Le cahier des charges pour la construction d'un orgue au Metropolitan Art Space suggérait un instrument de 70 à 85 jeux sur 4 claviers, à traction mécanique, et permettant de jouer tous les répertoires du baroque au contemporain.

Face à un projet aussi périlleux concernant un orgue "à tout jouer" dont les exemples existants sont rarement des réussites, Marc Garnier hésita un temps puis profita d'un cahier des charges somme toute simpliste, n'en déplaise à nos rédacteurs de cahiers des charges trop copieux!

La première difficulté fut de faire comprendre à l'architecte qu'un orgue est un ensemble et qu'il n'est pas aisé de construire un instrument dans un buffet imposé. Face à un premier projet d'esthétique "historisant" l'architecte prétexta que sa salle n'était pas un musée. D'où l'idée de construire un "deux en un", instrument à double buffet et chacun d'eux répondant à une esthétique particulière.

A la fin de 1987 un marché est passé pour la construction d'un double orgue totalisant 150 registres.
Ces 150 registres, pour 126 jeux, ont été partagés en 2 buffets dos à dos que l'on fait apparaître en faisant tourner l'orgue sur lui-même. Toutefois, pour des raisons de place, les trois jeux de 32' ouverts sont fixes, contre le mur du fond.
Cet ensemble des deux instruments présente 14 plans sonores répondant à 8 claviers et 2 pédaliers.

C'est pas très clair ? Je m'explique (... enfin, Marc Garnier explique ...):

La face "historique" comprend deux instruments commandés par trois claviers et un pédalier.
Le premier est construit dans l'esprit des instruments de la renaissance Flamande. Accord mésotonique à 8 tierces pures, diapason de 467 Hz.
Le deuxième est conçu d'après les instruments d'Allemagne centrale du 18e siècle. Accord baroque, diapason 415 Hz.

La face "moderne" comprend un instrument de "transition" avec cinq claviers et un pédalier.
Orgue Français classique avec sa partie "romantisée" de style milieu du 19e siècle, Accord presque égal, diapason 440 Hz.

Ainsi l'organiste peut choisir l'instrument répondant le mieux aux pièces du répertoire qu'il désire y interpréter avec un maximum d'authenticité musicologique.

Technique:

L'ensemble mobile est en trois parties et est disposé sur trois tourelles rotatives. Passer de l'orgue ancien à l'orgue moderne consiste à presser un bouton "Historic" ou "Modern".

Les 32' sont situé contre le mur du fond et reposent sur 10 sommiers mécaniques sans registre. A chaque note correspond une soupape.
Pour l'orgue baroque il y a un "Kontraposaune" de 32 pieds réels, un "Prästant" de 32' avec extensions mécaniques 16' et 8' dont chaque tuyau est alimenté par deux soupapes correspondant chacune à la mécanique de l'orgue historique et celle de l'orgue moderne. Le DO# de l'orgue accordé en 415 donne le DO de l'orgue accordé en 440. Pour l'instrument en 467, l'accord se fait par une admission de vent différente réglée par des targettes.
La partie française comprend une "Contrebombarde" de 32', longueur réelle aussi.
La traction des notes et des jeux passe par un répartiteur et elle est débrayée au moment de la rotation des buffets

La partie historique est composée de six plans sonores manuels et deux pour le pédalier. Sur cette face correspond deux instruments qui n'ont en commun que les claviers et le banc. Au dessus des claviers un levier permet de sélectionner la partie Flamande ou Allemande. Chaque touche commande les soupapes de deux sommiers par l'intermédiaire d'une double mécanique de traction. Pour éviter trop de dureté, un seul des deux sommiers est alimenté en vent, suivant le choix de départ, et quelques petites astuces permettent une différence de pression et de qualité de débit de vent pour chaque type d'orgue. Il y a en tout 48 sommiers à ressort, choix dicté pour une meilleure résistance aux fantaisies des climatiseurs.

Pour la partie Française et contemporaine il n'y a qu'un seul instrument.

Les registres sont à traction mécanique, avec une assistance électrique (si j'ai bien tout compris!), ce qui permet, entre autres, de disposer de possibilités de combinaisons ajustables mémorisées. Une panne éventuelle de l'électronique n'empêcherait pas de tirer les jeux à la main.