Traité de l'Orgue de Marin Mersenne


PROPOSITION XVI.

Expliquer le plus aisé  , & le plus parfait Diapason des Orgues que l'on puisse s'imaginer , lors que l'on use du tempérament , & que l'on ne veut que treize , ou vingt marches sur chaque Octave ; & conséquemment donner la manière d'accorder parfaitement les Orgues ordinaires : où l'on voit l'explication de la seconde & troisième colonne de la table précédente.

 

 

 

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J'ai montré que le clavier et le Diapason qui contiennent le genre diatonique dont on use maintenant dans sa perfection ont 32, 27, 25 ou du moins 19 marches ou degrés sur chaque Octave et que les claviers ordinaires tant des Orgues que des Épinettes n'en ont que treize. Il s'ensuit qu'ils ne peuvent être justes puis que l'on y veut trouver tout ce qui est dans les 19 degrés du clavier parfait.
On est contraint d'augmenter ou de diminuer la plus grande partie des intervalles tant dissonants que consonants. Parce que l'on ne peut garder la différence du ton mineur et du majeur, on les fait égaux de sorte qu'il n'y a nulle différence entre les tons de l'Orgue. C'est pour ce sujet que l'on diminue le ton majeur d'un demi comma dont on augmente le mineur. Il en résulte que les tierces majeures demeurent en leur perfection car l'intervalle de la tierce majeure étant diminué proportionnellement, l'on a deux tons égaux.
Parce que l'Octave est toujours parfaite et que la sixte mineure fait l'Octave avec la Tierce majeure, il s'ensuit que cette sixte a sa juste proportion. Je laisse plusieurs intervalles qui sont dissonants qui sont aussi dans leur justesse. Par exemple la quinte superflue qui est composée de deux tierces majeures, et la quarte diminuée qui surpasse la tierce d'un dièse, laquelle demeure encore dans sa justesse. Ceci afin d'expliquer l'altération des autres consonances, dont la moindre est la tierce mineure que l'on diminue de la quatrième partie d'un comma. Celle ci est composée du ton majeur et du demi ton majeur quand elle est en sa perfection. Or le ton majeur est diminué d'un demi comma et le demi ton majeur est augmenté d'un quart du même comma. Conséquemment la tierce mineure est trop petite de ce quart de comma.
La quinte est aussi trop faible d'un quart de comma puisqu'elle est composée de deux tierces (la majeure qui est dans sa perfection et la mineure qui est trop petite d'un quart de comma). La quarte est trop forte du même quart puisqu'elle fait l'Octave avec la quinte. Finalement la sixte majeure est trop forte de ce même quart puisqu'elle achève l'Octave avec la tierce mineure. D'où il est aisé de conclure qu'il suffit de savoir de combien l'on affaiblit la quinte et la tierce mineure pour connaître de combien les autres consonances s'augmentent. Je laisse les discordances ou les dissonances qui souffrent de l'altération, par exemple le Triton qui est trop faible d'un demi comma et la fausse quinte que l'on augmente d'autant puisqu'elle achève l'octave. Il importe fort peu que les dissonances soient altérées puis qu'on ne l'aperçoit pas si aisément que les consonances. J'ajoute seulement que la septième mineure est trop forte d'un comma puisqu'elle compose l'Octave avec le ton majeur, et que la septième composée de deux quartes est trop forte d'un demi comma dont la septième composée de la quinte et de la tierce mineure est trop faible.

Il est alors aisé de décrire le Diapason du parfait tempérament que l'on peut voir dans la seconde et la troisième colonne de la table précédente. Le C chromatique, c'est à dire la feinte de C sol ut fa, doit être augmenté d'un quart de comma puisqu'elle en est éloignée d'un demi ton mineur. La feinte enharmonique qui suit et qui est marquée D n'est éloigné que d'un dièse du C chromatique, et comme le dièse doit avoir sa juste proportion, il faut hausser ledit D d'un quart de comma. Et puis il faut hausser le premier D du système parfait et abaisser le second d'un demi comma afin de n'en faire qu'un des deux. Parce qu'il est beaucoup plus aisé de marquer le Diapason tempéré en trouvant premièrement les consonances parfaites qu'il a, plutôt qu'en usant de la manière précédente, je ne m'occupe plus que des tierces majeures parce qu'elles sont justes. Ainsi l'E mi la du Diapason tempéré est celui du Diapason parfait puisqu'il fait la tierce majeure juste avec C.
Les deux b carre de ces deux Diapasons conviennent aussi d'autant que G fait la tierce majeure avec eux.

Parce que l'on ne peut user de ce tempérament si l'on ne met 20 marches ou degrés à chaque Octaves de ce clavier, il faut user d'une autre industrie. Par exemple, par celle que j'ai montré dans le traité du Luth, par le moyen de laquelle tous les demi tons de l'Octave sont égaux : quoi qu'il soit meilleur de laisser les tierces majeures justes, que l'on divise en 4 demi tons égaux par l'invention de trois moyennes proportionnelles.
On peut aussi diviser la quarte en cinq demi tons égaux. Mais par ce qu'il faut trouver quatre moyennes proportionnelles pour ce sujet et qu'il faudrait en trouver six pour diviser la quinte en sept demi tons égaux, il vaut mieux diviser la tierce majeure comme j'ai dit parce que les trois moyennes proportionnelles se trouvent géométriquement et facilement. Ceci arrive aussi à la sixte mineure que l'on divise en huit demi tons égaux par l'invention de sept moyennes proportionnelles. De la sorte on peut dire que la tierce majeure et la sixte mineure ont un grand privilège et qu'elles servent davantage à ce tempérament que la quarte ou la quinte. C'est pourquoi elles sont récompensées d'une justesse qui égale celle de l'Octave.
Mais tous ces tempéraments ne servent à rien pour la fabrique de l'Orgue d'autant que les tuyaux que l'on fait selon la juste proportion approchent si près dudit tempérament que les mêmes tuyaux qui sont faits pour l'Orgue parfait peuvent servir pour l'imparfait ou l'ordinaire. Ils ne sont pas éloignés de plus d'un quart de comma les uns des autres. Or ce quart est quasi de 160 à 161 de sorte que si l'on divise le tuyau en 160 parties, il ne faut diminuer ou augmenter l'imparfait que d'une partie, ce qui n'est pas quasi sensible dans les moindres tuyaux. Mais si le tuyau était de seize pieds, il faudrait ajouter 1 pouce et 1/5 au tuyau qui ferait le ton mineur en bas. S'il faisait le ton majeur, il faudrait en ôter autant pour pratiquer le tempérament le plus juste de tous, qui a les 20 degrés sur chaque Octave.

Corollaire I

Dans la petite colonne qui est entre la troisième et la quatrième, on voit de combien chaque degré du Diapason tempéré est éloigné les degrés du parfait. Ceci par le moyen des deux lignes de chaque côté de l'un et de l'autre, qui aboutissent sur ladite colonne.
Par exemple le D tempéré est plus haut d'1/4 de comma que le D juste. Il en est ainsi des autres, ce qui peut aider les Facteurs d'Orgues, s'ils aiment mieux travailler par science que par routine.

Corollaire II

Il faut aussi remarquer que les nombres de la première colonne qui signifient les onze moyennes proportionnelles ne sont pas si justes que lors que l'on en prend de plus grands, comme sont les treize de la table qui suit.

 

Table de l'Octave divisée en douze demi tons inégaux.
1080
1152
1215
1296
1350
1440
1536
1620
1728
1800
1920
2048
2160
Demi-ton majeur
Demi-ton moyen
Demi-ton majeur
Demi-ton mineur
Demi-ton majeur
Demi-ton majeur
Demi-ton moyen
Demi-ton majeur
Demi-ton mineur
Demi-ton majeur
Demi-ton majeur
Demi-ton moyen

Corollaire III

On peut diviser l'Octave en douze autres demi tons qui ne sont pas égaux, mais toutes les consonances ne se trouvent pas justes dans ces deux divisions comme en celle de l'Octave en dix neuf degrés. Par exemple, l'A mi la ré n'a point de quinte en haut car l'E mi la est trop faible d'un comma, ce qu'il faudrait suppléer par un second A ou E comme on voit dans les colonnes 8 et 9 de la table précédente.
Néanmoins je mets ici les nombres à côté qui représentent ces demi tons inégaux dans leur justesse, auxquels les notes précédentes peuvent répondre sans qu'il soit besoin de les répéter.

Les praticiens et les Facteurs peuvent encore voir l'Octave de Fabius Colomna qui divise chaque ton en cinq parties égales, comme j'ai montré dans l'onzième Proposition du troisième livre des Genres.

 

 

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