UNE HISTOIRE DU PLEIN-JEU


VI. LES ORIGINES DE LA CYMBALISATION

 

L'origine des cymbalisations des Fournitures françaises est à trouver de très bonne heure dans les Pleins-Jeux à petit nombre de rangs (positifs et cabinets) et tout spécialement dans les Pleins-Jeux d'Echo, Bien que leur développement à la fin du XVIIIe siècle soit sûrement lié à des influences germaniques (chez Silbermann et par son intermédiaire à Paris et en France) .
Il semble que Pierre Desenclos et Pierre Thierry aient été les premiers à considérer l'Echo comme un troisième plan complet et à le doter de la registration Plein-Jeu.
Béziers - 1633A l'origine, et dans la plupart des cas, l'Echo ne comporte qu'un Cornet V. Vers 1643 Thierry reprend le principe du Boucquin de Carlier avec anche (Cathédrale de Poitiers) pour doter l'Echo d'un jeu d'anche (Voix humaine ou Cromorne). La division du Cornet en jeux séparés donnait les registrations de fonds et mixtures flûtées. Restait manquant le Plenum.
En 1657, à Aubervilliers l'Echo n'est qu'un pis-aller faute de Positif, d'où la nécessité de ce Plein-Jeu, mais à la Cathédrale de Rouen, il s'agit bien d'un troisième plan complet avec Mixture III. Désormais, les élèves de Thierry et particulièrement son fils Alexandre et Jean de Joyeuse répandront cette composition pendant près d'un siècle, sans qu'elle devienne jamais partie intégrante de l'Echo français classique.

A Béziers, Joyeuse nous donne la preuve qu'on voulait faire de l'Echo un troisième plan véritable:
Fourniture II, Cymbale II sur un même registre et d'une composition pour répondre au Plein-Jeu du G.O. et au Plein-Jeu du Positif.


Ce Plein-Jeu est à l'origine et le plus souvent de III rangs.
De grands instruments en auront davantage.
Au-dessous de V rangs, la composition classique offrait des difficultés pour éviter les trous et les doublures partielles.
Les premières tentatives associeront une fourniture II et une Cymbale II.

Une solution moins attachée d'une façon rigide aux règles classiques pouvait être trouvée. Elle mènera en fait au conseil que fera Dom Bedos de réduire à une Cymbale tout Plein-Jeu inférieur à V rangs, parce que le clavier d'Echo ne commence qu'à l'ut 2.

Cette nécessité est encore plus nette pour le Plein-Jeu le plus fréquent à III rangs, 1 rang de fourniture et 2 rangs de Cymbale:
A l'ut 2, Cymbale 1/4', 1/6'. (1/2 et 1/3 à l'Ut1 inexistant).
S'il y a une Doublette, le rang de Fourniture peut être de 1/2' (1' à l'ut 1) et devra rester sans reprise jusqu'à ut 3 où il rejoint seulement la Cymbale; donc il est nécessaire de manquer le saut traditionnel sur Fa 2.
En ut 3 il faut boucher le seul trou restant (1'1/3) donc faire un saut de quinte.
En fa 3 une Fourniture devrait sauter d'octave en 4', mais cela ferait un grand trou, d'où passage seulement au 2' jusqu'en ut 4 où peut apparaître le 2'2/3 de façon à éviter toute doublure, impossible dans un plan à si peu de rangs.

Enfin le 4' apparaît en fa 4, et la Fourniture est devenue depuis ut 3 un troisième rang de Cymbale intégral.
(Passez la souris sur l'image ci-contre pour cymbaliser la Fourniture d'Echo).
En revanche, dans la première Quinte (ut 2 - Fa 2) la Cymbale 1/4', 1/6' se trouve séparée du IIIe rang (1/2'). Pour éviter ce trou au sein de cet ensemble considéré par force comme une mixture unique, il convenait de baisser la Cymbale en supprimant le premier saut (en Fa 2) et dès lors les III rangs sont parfaitement parallèles avec un court début de Fourniture III mais tout le reste en Cymbale III.
Le rang de fourniture pourrait être aussi de 1/3', ce qui ferait moins de trous, par rapport au schéma proposé ci-joint, mais la même cymbalisation serait nécessaire pour éviter les doublures. Seules les portions de rangs déplacées seraient différentes.

Ceci explique le flottement des noms donnés au Plein-Jeu d'Écho sans que cela recouvre sans doute de vraie divergence de plan: Fourniture - à Rouen, Cymbale - à Saint- Germain-des-Prés, aux Invalides..., Fourniture cymbalisée - à Béziers, à Saint-Laurent à Paris.... (Fournibale dans les orgues néo-classiques?)

Comme le premier saut tombe alors sur un Ut, la logique voulait que le suivant se fît une quinte plus haut donc sur Sol au lieu de Fa. C'est bien ce qu'on a au Petit-Andely (1674) avec un Plein-jeu II (réduction apparemment du plan à III par simple suppression du rang supérieur).

André Silbermann, élève de François Thierry dont il connaît les Echos, et aux portes de la Germanie, bâtit ses Plenums avec un nombre de rangs très restreint. Il réduit le Plein-Jeu du Positif à III rangs et renonce comme à l'Echo à y distinguer Fourniture et Cymbale. Les rangs sont parallèles sur un plan mixte: Cymbalisation et reprises sur ut et sol s'y retrouvent.

Marmoutierr - 1710Marmoutier, au positif:
Ut 1 : 2/3', 1/2', 1/3' (ceci pour gagner de la place car dès sol 1 on reprend la vraie hauteur de base à II rangs d'octaves: 1', 2/3', 1/2', ce qui est quand même plus grave d'une octave que le plan Français. Aussi regagne-t-il une quinte en ne sautant pas sur Do 2, d'où
Sol 2 : 1'1/3, 1', 2/3' (hauteur des flamands, avec II Quintes assez compensées encore par leur hauteur au-dessus des Principaux).
Ut 3 : 2', 1'1/3, 1'.
Sol 3 : 2'2/3, 2', 1'1/3.
Ut 4 : 4', 2'2/3, 2'.
Pas de reprise sur Fa 4, ce qui permet de finir aussi haut que le plan Français. Ainsi on a un départ de Fourniture, puis une Cymbale à plafond bas (1/6').

A Ebersmunster (1728) qui est pratiquement déjà du fils, Jean André, le parti est encore plus net:
au positif, dès ut 1 départ de Fourniture: 1', 2/3', 1/2'.
En Ut 2, saut de Cymbale 1'1/3, 1', 2/3'.
En Ut 3, saut de Cymbale 2', 1'1/3, 1'.
La reprise sur Sol 3 est en fait reportée à Ut 4 avec saut d'octave, d'où 4', 2'2/3, 2' de Ut4 à Ut5 comme à Marmoutier. Les doubles Quintes sont cette fois évitées (sauf de Sol 2 à Ut 3), au prix, il est vrai, d'un saut d'octave complet sur ut 4 qui choque bien des auditeurs.
Les Pleins-Jeux plus riches des deux grands instruments de Silbermann (Strasbourg Cathédrale et projet pour Weingarten avec plus de V rangs révèlent pourtant le même plan cymbalisé. En effet, la Fourniture du Positif y commence au 1'1/3 comme pour un classique; c'est donc qu'elle n'est pas horizontale, mais monte déjà comme à Ebersmunster.

Les Pleins-Jeux de Grand-Orgue de Marmoutier confirment ce parti pris. Le Plein-Jeu VI se compose d'une Cymbale à qui le parallélisme avec le Positif interdit de dépasser 1/6', d'où départ français 1/2', 1/3', 1/4', rabattu dès Sol 1 au plan grave : 2/3', 1/2', 1/3'.
La Fourniture s'étage au-dessous : 2/3', 1', 1'1/3.
D'où au Sol 1 doublure de 2/3', mais voulue pour atténuer l'effet de 4 quintes contre 2 octaves.
Sur ut 2 la Cymbale devient 1/2', 2/3', 1', d'où cymbalisation de la Fourniture en 1', 1'1/3, 2' (il n'y a plus que 2 Quintes mais ce sont les Octaves qui ont la doublure).
Sur Sol 2 on retrouve: 2/3', 1', 1'1/3 + 1'1/3, 2', 2'2/3.
Sur Ut 3: 1', 1'1/3, 2' + 2', 2'2/3, 4'.
En Sol 3 reprise de Cymbale à la Fourniture: 5'1/3, 4, 2'2/3 ce qui évite la doublure sur 2', mais introduit la résultante de 16' jusqu'à ut 4.
Sur ut 4: , ce rang de 5'1/3 reprend en 8' suivi par la Cymbale (2'2/3, 2', 1'1/3) qui est alors seule à reprendre sur sol 4 : 8', 5'I/3, 4' + 4', 2'2/3, 2'.

A Ebersmunster (orgue sans Doublette où le 2' est une Quarte) la Fourniture commence au 2' : 2', 1'1/3, 1'; la Cymbale suit le mouvement en doublant le 1' : 1', 2/3', 1/2', et tout le système monte parallèlement, en Fourniture, pour l'écartement des reprises (à chaque octave sur Ut 1, Ut 2, Ut 3 Ut4 et Sol 4) et monte en Cymbale pour leur hauteur (à la quinte), système de plafond ascendant destiné à un grand avenir qui a complètement éclipsé le plan français dans l'orgue dit Néo-classique.

Dans un orgue modeste, Chatenois, J. A. Silbermann applique le même système à son Plein-Jeu IV:
- ut 1: 1', 2/3', 1/2', 1/3'.
- ut 2: 1'1/3, 1', 2/3', 1/2'.
- ut 3: 2', 1'1/3, 1'. 2/3'.
- ut 4: 2'2/3, 2', 1'1/3, 1'.
- Sol 4: 4', 2'2/3, 2', 1'1/3.

Ne trouve-t-on pas là, en fait, quelque chose de très semblable à la "Mixtur" du Tonton Gottfried de Saxe?

Dans un tel ensemble il est facile d'isoler un rang de 1' (sauf la dernière quinte où on le fait reprendre en 2') ce qui provoquera par la suite la réapparition d'un Sifflet 1' (de Plein-Jeu et non de Flûte comme au début du XVIIe siècle).

Nous sommes, depuis Silbermann, très loin du Plenum français classique, bien avant Dom Bedos.
De fait, pour près d'un demi-siècle encore les Français et plus particulièrement les Parisiens restent sourds à ces tentatives orientales.
Ce sont peut-être plus des raisons pratiques qu'acoustiques qui les mèneront eux aussi à la fin du XVIIIe siècle à la Cymbalisation.
Encore faudrait-il connaître la pratique de facteurs comme Rohrer ou Riepp et Rabiny qui peuvent par leur présence en France "de l'intérieur", avoir eu plus d'influence que Silbermann.
Celle des Lorrains ambulants, Moucherel ou Parizot, issus par Legros des Thierry, reste parfaitement franco-française.

Un traité de facture signé P.B.C. nous apporte un document de plus pour l'histoire du Plein-Jeu en France au XVIIIe siècle. L'auteur, qui date son manuscrit de 1746, se réfère comme exemple à l'orgue construit à partir de 1741 par les frères Lefèvre à Saint-Etienne de Caen.
Le Plein-Jeu décrit est celui du G.O. composé de Fourniture III, Fourniture IV et Cymbale V.
Il est facile de se rendre compte que les 3 rangs de Grosse Fourniture sont là les trois rangs graves de la Fourniture V de 2' de Dom Bedos, sauf que les reprises sont sur sol 2 et sol 3 au lieu des fa et surtout que, pour étaler les sauts d'octave, on en a anticipé la moitié (quinte et quarte) sur les deux ut précédents: cymbalisation.
Le jeu reste cependant fourniture par son refus de saut sur ut 4 (*). On notera qu'ici la résultante de 16' se trouve anticipée de fa 3 à ut 3.
La petite fourniture IV est décrite plus vite: elle reprend comme l'autre "décend comme la grosse pour les plus petits".
La Cymbale est encore plus rapidement décrite, ce qui peut prêter à confusions dans l'aigu.
L'ensemble est un grand plein-jeu de XII composé en fait de deux fournitures cymbalisées l'une résultant en 16': VII - 2', l'autre en 8': IV - 1'; quelque chose de très logique et somme toute encore bien français. Mais le déroulement de la Cymbale "comme pour les autres", avec renvoi au schéma du premier rang de la Fourniture, donne des dessus de la hauteur du larigot et du Sifflet, d'esprit fort moderne mais peu conforme aux moeurs du temps. La lecture du folio. 95 du traité oblige heureusement à corriger cet excès : il convient donc de lire sa Cymbale à 6 reprises ou à recoupes.

(*) Note DGW: Pour ma part, il me semble bien, à la lecture de "l'Anonyme", que la fourniture reprend aussi sur le 4e UT. Ce qui ferait une résultante de 32 pour la grosse fourniture, sur cette note avec la reprise du premier rang en 10' 2/3.
Si vous voulez voir, jugez vous-même et, éventuellement, dites-moi ce que vous en pensez. Aller à "l'Anonyme de Caen"?

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