L'origine
des cymbalisations des Fournitures françaises est à
trouver de très bonne heure dans les Pleins-Jeux à
petit nombre de rangs (positifs et cabinets) et tout spécialement
dans les Pleins-Jeux d'Echo, Bien que leur développement
à la fin du XVIIIe siècle soit sûrement lié
à des influences germaniques (chez Silbermann et par son
intermédiaire à Paris et en France) .
Il semble que Pierre Desenclos et Pierre Thierry aient été
les premiers à considérer l'Echo comme un troisième
plan complet et à le doter de la registration Plein-Jeu.
A
l'origine, et dans la plupart des cas, l'Echo ne comporte qu'un
Cornet V. Vers 1643 Thierry reprend le principe du Boucquin
de Carlier avec anche (Cathédrale de Poitiers) pour
doter l'Echo d'un jeu d'anche (Voix humaine ou Cromorne).
La division du Cornet en jeux séparés donnait les
registrations de fonds et mixtures flûtées. Restait manquant
le Plenum.
En 1657, à Aubervilliers l'Echo n'est qu'un pis-aller
faute de Positif, d'où la nécessité de ce
Plein-Jeu, mais à la Cathédrale de Rouen,
il s'agit bien d'un troisième plan complet avec Mixture III.
Désormais, les élèves de Thierry et particulièrement
son fils Alexandre et Jean de Joyeuse répandront cette composition
pendant près d'un siècle, sans qu'elle devienne jamais partie
intégrante de l'Echo français classique.
A Béziers, Joyeuse
nous donne la preuve qu'on voulait faire de l'Echo un troisième
plan véritable: Fourniture II, Cymbale II sur un même registre et d'une composition
pour répondre au Plein-Jeu du G.O. et au Plein-Jeu
du Positif.
Ce Plein-Jeu est à l'origine et le plus souvent de III
rangs.
De grands instruments en auront davantage.
Au-dessous de V rangs, la composition classique offrait des difficultés
pour éviter les trous et les doublures partielles.
Les premières tentatives associeront une fourniture II et
une Cymbale II.
Une solution moins
attachée d'une façon rigide aux règles classiques
pouvait être trouvée. Elle mènera en fait au conseil
que fera Dom Bedos de réduire à une Cymbale
tout Plein-Jeu inférieur à V rangs, parce que le
clavier d'Echo ne commence qu'à l'ut 2.
Cette nécessité
est encore plus nette pour le Plein-Jeu le plus fréquent à
III rangs, 1 rang de fourniture et 2 rangs de Cymbale:
A l'ut 2, Cymbale 1/4', 1/6'. (1/2 et 1/3 à l'Ut1 inexistant).
S'il y a une Doublette, le rang de Fourniture peut être
de 1/2' (1' à l'ut 1) et devra rester sans reprise jusqu'à
ut 3 où il rejoint seulement la Cymbale; donc il est nécessaire
de manquer le saut traditionnel sur Fa 2.
En ut 3 il faut boucher le seul trou restant (1'1/3) donc faire un saut
de quinte.
En fa 3 une Fourniture devrait sauter d'octave en 4', mais cela ferait
un grand trou, d'où passage seulement au 2' jusqu'en ut 4 où
peut apparaître le 2'2/3 de façon à éviter toute
doublure, impossible dans un plan à si peu de rangs.
Enfin le 4' apparaît en fa 4, et la Fourniture est devenue
depuis ut 3 un troisième rang de Cymbale intégral.
(Passez
la souris sur l'image ci-contre pour cymbaliser la Fourniture d'Echo). En
revanche, dans la première Quinte (ut 2 - Fa 2) la Cymbale
1/4', 1/6' se trouve séparée du IIIe rang (1/2'). Pour éviter
ce trou au sein de cet ensemble considéré par force comme
une mixture unique, il convenait de baisser la Cymbale en supprimant
le premier saut (en Fa 2) et dès lors les III rangs sont parfaitement
parallèles avec un court début de Fourniture III mais
tout le reste en Cymbale III.
Le rang de fourniture pourrait être aussi de 1/3', ce qui ferait
moins de trous, par rapport au schéma proposé ci-joint, mais
la même cymbalisation serait nécessaire pour éviter
les doublures. Seules les portions de rangs déplacées seraient
différentes.
Ceci explique le flottement
des noms donnés au Plein-Jeu d'Écho sans que cela
recouvre sans doute de vraie divergence de plan: Fourniture - à
Rouen, Cymbale - à Saint- Germain-des-Prés, aux Invalides...,
Fourniture cymbalisée - à Béziers, à
Saint-Laurent à Paris.... (Fournibale dans les orgues néo-classiques?)
Comme le premier saut tombe
alors sur un Ut, la logique voulait que le suivant se fît une quinte
plus haut donc sur Sol au lieu de Fa. C'est bien ce qu'on a au Petit-Andely
(1674) avec un Plein-jeu II (réduction apparemment du plan
à III par simple suppression du rang supérieur).
André Silbermann,
élève de François Thierry dont il connaît
les Echos, et aux portes de la Germanie, bâtit ses Plenums
avec un nombre de rangs très restreint. Il réduit le Plein-Jeu
du Positif à III rangs et renonce comme à l'Echo
à y distinguer Fourniture et Cymbale. Les rangs sont
parallèles sur un plan mixte: Cymbalisation et reprises sur ut
et sol s'y retrouvent.
Marmoutier,
au positif:
Ut 1 : 2/3', 1/2', 1/3' (ceci pour gagner de la place car dès sol
1 on reprend la vraie hauteur de base à II rangs d'octaves: 1',
2/3', 1/2', ce qui est quand même plus grave d'une octave que le
plan Français. Aussi regagne-t-il une quinte en ne sautant pas
sur Do 2, d'où
Sol 2 : 1'1/3, 1', 2/3' (hauteur des flamands, avec II Quintes assez compensées
encore par leur hauteur au-dessus des Principaux).
Ut 3 : 2', 1'1/3, 1'.
Sol 3 : 2'2/3, 2', 1'1/3.
Ut 4 : 4', 2'2/3, 2'.
Pas de reprise sur Fa 4, ce qui permet de finir aussi haut que le plan
Français. Ainsi on a un départ de Fourniture, puis
une Cymbale à plafond bas (1/6').
A Ebersmunster
(1728) qui est pratiquement déjà du fils, Jean André,
le parti est encore plus net:
au positif, dès ut 1 départ de Fourniture:
1', 2/3', 1/2'.
En Ut 2, saut de Cymbale 1'1/3, 1', 2/3'.
En Ut 3, saut de Cymbale 2', 1'1/3, 1'.
La reprise sur Sol 3 est en fait reportée à Ut 4 avec saut
d'octave, d'où 4', 2'2/3, 2' de Ut4 à Ut5 comme à
Marmoutier. Les doubles Quintes sont cette fois évitées
(sauf de Sol 2 à Ut 3), au prix, il est vrai, d'un saut d'octave
complet sur ut 4 qui choque bien des auditeurs.
Les Pleins-Jeux plus riches des deux grands instruments de Silbermann
(Strasbourg Cathédrale et projet pour Weingarten
avec plus de V rangs révèlent pourtant le même plan
cymbalisé. En effet, la Fourniture du Positif y commence
au 1'1/3 comme pour un classique; c'est donc qu'elle n'est pas horizontale,
mais monte déjà comme à Ebersmunster.
Les
Pleins-Jeux de Grand-Orgue de Marmoutier confirment ce parti
pris. Le Plein-Jeu VI se compose d'une Cymbale à
qui le parallélisme avec le Positif interdit de dépasser
1/6', d'où départ français 1/2', 1/3', 1/4', rabattu
dès Sol 1 au plan grave : 2/3', 1/2', 1/3'.
La Fourniture s'étage au-dessous : 2/3', 1', 1'1/3.
D'où au Sol 1 doublure de 2/3', mais voulue pour atténuer
l'effet de 4 quintes contre 2 octaves.
Sur ut 2 la Cymbale devient 1/2', 2/3', 1', d'où cymbalisation
de la Fourniture en 1', 1'1/3, 2' (il n'y a plus que 2 Quintes
mais ce sont les Octaves qui ont la doublure).
Sur Sol 2 on retrouve: 2/3', 1', 1'1/3 + 1'1/3, 2', 2'2/3.
Sur Ut 3: 1', 1'1/3, 2' + 2', 2'2/3, 4'.
En Sol 3 reprise de Cymbale à la Fourniture: 5'1/3,
4, 2'2/3 ce qui évite la doublure sur 2', mais introduit la résultante
de 16' jusqu'à ut 4.
Sur ut 4: , ce rang de 5'1/3 reprend en 8' suivi par la Cymbale
(2'2/3, 2', 1'1/3) qui est alors seule à reprendre sur sol 4 :
8', 5'I/3, 4' + 4', 2'2/3, 2'.
A Ebersmunster (orgue
sans Doublette où le 2' est une Quarte) la Fourniture
commence au 2' : 2', 1'1/3, 1'; la Cymbale suit le mouvement en
doublant le 1' : 1', 2/3', 1/2', et tout le système monte parallèlement,
en Fourniture, pour l'écartement des reprises (à
chaque octave sur Ut 1, Ut 2, Ut 3 Ut4 et Sol 4) et monte en Cymbale
pour leur hauteur (à la quinte), système de plafond ascendant
destiné à un grand avenir qui a complètement éclipsé
le plan français dans l'orgue dit Néo-classique.
Dans
un orgue modeste, Chatenois, J. A. Silbermann applique le
même système à son Plein-Jeu IV:
- ut 1: 1', 2/3', 1/2', 1/3'.
- ut 2: 1'1/3, 1', 2/3', 1/2'.
- ut 3: 2', 1'1/3, 1'. 2/3'.
- ut 4: 2'2/3, 2', 1'1/3, 1'.
- Sol 4: 4', 2'2/3, 2', 1'1/3.
Ne trouve-t-on pas là,
en fait, quelque chose de très semblable à la "Mixtur"
du Tonton Gottfried de Saxe?
Dans un tel ensemble il est
facile d'isoler un rang de 1' (sauf la dernière quinte où
on le fait reprendre en 2') ce qui provoquera par la suite la réapparition
d'un Sifflet 1'(de Plein-Jeu et non de Flûte
comme au début du XVIIe siècle).
Nous sommes, depuis Silbermann,
très loin du Plenum français classique, bien avant
Dom Bedos.
De fait, pour près d'un demi-siècle encore les
Français et plus particulièrement les Parisiens restent
sourds à ces tentatives orientales.
Ce sont peut-être plus des raisons pratiques qu'acoustiques qui
les mèneront eux aussi à la fin du XVIIIe siècle
à la Cymbalisation.
Encore faudrait-il connaître la pratique de facteurs comme Rohrer
ou Riepp et Rabiny qui peuvent par leur présence
en France "de l'intérieur", avoir eu plus d'influence
que Silbermann.
Celle des Lorrains ambulants, Moucherel ou Parizot, issus
par Legros des Thierry, reste parfaitement franco-française.
Un
traité de facture signé P.B.C. nous apporte un document
de plus pour l'histoire du Plein-Jeu en France au XVIIIe siècle.
L'auteur, qui date son manuscrit de 1746, se réfère comme
exemple à l'orgue construit à partir de 1741 par les frères
Lefèvre à Saint-Etienne de Caen.
Le Plein-Jeu décrit est celui du G.O. composé de
Fourniture III, Fourniture IV et Cymbale V.
Il est facile de se rendre compte que les 3 rangs de Grosse Fourniture
sont là les trois rangs graves de la Fourniture V de 2'
de Dom Bedos, sauf que les reprises sont sur sol 2 et sol 3 au
lieu des fa et surtout que, pour étaler les sauts d'octave, on
en a anticipé la moitié (quinte et quarte) sur les deux
ut précédents: cymbalisation.
Le jeu reste cependant fourniture par son refus de saut sur ut
4 (*). On notera qu'ici la résultante de 16' se trouve anticipée
de fa 3 à ut 3.
La petite fourniture IV est décrite plus vite: elle reprend
comme l'autre "décend comme la grosse pour les plus petits".
La Cymbale est encore plus rapidement décrite, ce qui peut
prêter à confusions dans l'aigu.
L'ensemble est un grand plein-jeu de XII composé
en fait de deux fournitures cymbalisées l'une résultant
en 16': VII - 2', l'autre en 8': IV - 1'; quelque chose de très
logique et somme toute encore bien français. Mais le déroulement
de la Cymbale"comme pour les autres", avec renvoi
au schéma du premier rang de la Fourniture, donne des dessus
de la hauteur du larigot et du Sifflet, d'esprit fort moderne
mais peu conforme aux moeurs du temps. La lecture du folio. 95 du traité
oblige heureusement à corriger cet excès : il convient donc
de lire sa Cymbale à 6 reprises ou à recoupes.
(*) Note DGW: Pour ma part,
il me semble bien, à la lecture de "l'Anonyme", que la
fourniture reprend aussi sur le 4e UT. Ce qui ferait une résultante
de 32 pour la grosse fourniture, sur cette note avec la reprise du premier
rang en 10' 2/3.
Si vous voulez voir, jugez vous-même et, éventuellement,
dites-moi ce que vous en pensez. Aller à "l'Anonyme
de Caen"?