ABéCéDaire de l'orgue

P comme PARIS

Saint Gervais

L'orgue des Couperin

 

Façade de l'église St Gervais (gravure)

La première église Saint Gervais & Saint Protais a été bâtie à l'époque Mérovingienne.
Située entre la place de Grève et la Maison aux Piliers (l'hôtel de ville), les ports marchands et le quartier du Marais, ce premier lieu de culte de la rive droite est dédié à deux jumeaux martyrisés sous Néron parce qu'ils s'étaient insurgés contre le pouvoir impérial. Les Parisiens qui voyaient périodiquement les barbares piller la rive droite de la Seine se sont mis sous leur protection*.
* Pour ma part, je pense que les fortifications de Philippe-Auguste ont été plus efficaces.

Du 11e au 15e siècle Saint Gervais devient le siège de puissantes confréries de marchands, telle que celle des « marchands et vendeurs de vin ». Du 13e au 15e siècle, celles-ci font reconstruire l'église devenue trop petite.
De la fin du 15e au début du 17e siècle il faudra à nouveau l'agrandir. L'édifice actuel a été construit en 130 ans, de 1494 à 1620, période qui conserve jusqu'à l'achèvement le plan gothique et le style flamboyant choisi au 15e siècle. En juillet 1616, Louis XIII posa la première pierre de la façade de style classique où les trois ordres antiques se superposent : dorique, ionique et corinthien au dernier étage.

Alors qu'éclosent la Renaissance et les lendemains du concile de Trente, Saint Gervais est le foyer spirituel d'un renouveau théologique et de son expression artistique au service de la prière : Guillaume Budé, Philippe de Champaigne, la dynastie des Couperin dont les membres se succèdent à l'orgue depuis le 17e siècle jusqu'en 1830.


L'étude qui suit est compilée d'après celle de Pierre Hardouin
« Le Grand Orgue de Saint Gervais à Paris »

N° spécial de la revue de l'AFSOA - « Connaissance de l'Orgue » - 1975

Le premier orgue de Saint Gervais fut donné par plusieurs frères de la confrérie des marchands de vin en 1397. Orgue dont le fonctionnement est toujours attesté en 1414.

C'est seulement près d'un siècle plus tard que la paroisse achète un orgue, celui du prieuré Sainte-Catherine du Val des Écoliers qui datait de 1421. Ces orgues comportaient une mitre encadrée de deux tourelles et, considérées comme trop petites, elles ont été vendues à la paroisse Saint Gervais peu avant 1513.

En 1545, un marché de reconstruction d'un orgue en remployant du matériel antérieur est passé avec un certain Hébart. Le facteur abandonna sa tâche qui fut reprise par Antoine Dargillières qui devait faire le fût de neuf et la soufflerie incorporée afin que l'orgue fut déplaçable. Il devait s'agir de l'orgue primitif, transformé pour être transportable, et non de l'instrument de Sainte Catherine qui, lui, a du être agrandi vers 1560 pour 400 livres.

Pendant ce temps, la reconstruction de la nouvelle église avançait.
En 1596 les premiers fonds disponibles furent réservés au renouvellement des ornements, puis du mobilier. C'est donc probablement vers 1600 que fut commandé un orgue neuf.
La Fabrique de Saint Gervais profita du passage de Mathieu Langhedul*, le fils même de Jean, qui revenait d'Espagne vers sa Flandre natale, pour commander son orgue définitif, quitte à le disposer sur un emplacement provisoire, l'édifice n'étant pas encore achevé.
* Le marché est perdu mais la signature de « Langhedul 1601 » est toujours portée sur les petits tuyaux de la Montre de 16 et du Bourdon de 8 du Grand-Orgue.

L'orgue de Mathieu Langhedul

L'instrument fut placé dans le transept sud sur la haute tribune qui y est encore. Le buffet avec des pilastres cannelés délimitant 3 tourelles presqu'égales en hauteur, celles des côtés moins hautes qu'aujourd'hui, la Montre ne dépassant pas le 12 pieds. La Montre du positif décorait le soubassement.
Les deux claviers de 45 touches, de UT1 à UT5 avec octave courte, étaient sur la face arrière et commandaient deux abrégés distincts.

Positif Grand-Orgue Pédale (9 notes ?)
Bourdon 8
Montre 4
Doublette
Fourniture III
Cymbale III
Flageolet 1
Cromorne
Montre 16 (du Fa1)
8' ouvert
Bourdon 8
Prestant
Doublette
Fourniture (?)
Cymbale III
Flûte 4
Nasard
Flûte à 9 trous 2'
Flageolet 1
Cornet V (25n)
Trompette
Clairon
1e octave en tirasse
Flûte 8' (?)

Tremblant fort. Pas d'accouplement des claviers.

Le Cornet, dit « Cornet de Flandre », et le Cromorne étaient alors deux jeux typiquement flamands.

Langhedul ayant regagné la Flandre, l'entretien de l'orgue est confié à Paul Maillard.

Orgue de St Gervais L'orgue de Louis Couperin

La construction de l'église s'achevait.
En 1628 la tribune au revers de la grande façade ouest était achevée. Aussitôt marché fut passé pour le transfert de l'orgue. Maillard parti pour Angers, les Marguilliers firent appel à Pierre Pescheur, son ami et élève.
Le travail ne fut pas qu'un simple transfert. La tribune permettait une disposition plus normale, ce qui entraîna une réfection complète de la mécanique. Le Positif devint dorsal et la fenêtre des claviers s'ouvrit par devant.
L'organiste Robert Buisson en profita pour obtenir la correction de quelques insuffisances, comme l'octave courte. Les nouveaux claviers accédèrent à 48 notes, noires comme l'exigeait la mode, et purent être accouplés, ce que nécessitait la pratique Française pour laquelle la fourniture du Positif faisait partie intégrante du Plenum.

Le volume de l'église avait presque doublé, nécessitant un renforcement général. Ce qui fut obtenu par :
- augmentation de la pression en ajoutant 20 livres par soufflet,
- ravalement de la Montre de 12' en 16' avec des tuyaux en bois placés à l'intérieur du buffet,
- remplacement du Nasard et de la Cymbale III pour renforcer le Plenum,
- ajout d'une Tierce « à mettre dans le Plein-Jeu » en remplacement du Flageolet 1',
- remplacement des résonateurs en fer blanc des tuyaux d'anches par de l'étain.

Pescheur a également posé un demi clavier de Récit résultant d'une double alimentation du Cornet de Grand-Orgue au moyen de petites soupapes et ajouta une Tierce large à côté de la Tierce étroite en retaillant la Flûte de 2'.
Il aurait également complété la Pédale à 24 ou 28 notes avec la première octave complète (sauf l'Ut#) et ajout d'une Flûte de 8 en plomb, métal que n'utilisait pas Langhedul. (C'est pour ça qu'on ignore si Langhedul en avait posé une).

A la succession de Buisson par son propre fils Robert (lui aussi) en 1649 à la tribune, il y eut visite de l'orgue et prise de décision d'un relevage. Les travaux furent confiés à Pierre Thierry qui remplaça le dessus de Flûte de 8 de Pédale en plomb par des tuyaux de bois et ajouta une Flûte de 4'.
Le fils Buisson en profita peu.

La diminution des gages imposée au successeur afin de verser une rente viagère au frère de Buisson qui, faible d'esprit, ne pouvait accéder à la succession, convint au jeune Louis Couperin qui s'en contenta et qui fut retenu en 1653.

En 1659, désirant faire évoluer son instrument dans le style alors à la mode, Louis Couperin obtint le complément du Positif qui n'avait pas de jeu de Tierce:
- échange du Bourdon Flamand trop étroit, ce dernier étant recoupé en Flûte de 4'.
- Ajout d'un Nasard et d'une Tierce neufs.
Il fit ajouter un Écho destiné à servir de 3e plan sonore, sorte de positif interne comme on en a toujours l'exemple à Aubervilliers, avec fonds, plenum, jeu de tierce et anche: Bourdon, Prestant, Doublette, Cymbale III, Nasard, Tierce, Cromorne, le tout sur 3 octaves complètes.
Positif et pédale furent complétés d'un La grave (A0) joué sur le premier UT#.
Plus rare encore, ajout d'une tirasse mobile

Louis Couperin non plus ne profita guère des ces modifications puisqu'il mourut prématurément en 1661. L'orgue passa aux mains de son cadet, Charles, qui vivait avec lui et qui garda logement et traitement toujours amputé des 67 livres en faveur de Pierre Buisson à l'esprit un peu perturbé. L'innocent* vivra encore longtemps.
* En Provence, on dirait « le ravi » !

L'orgue de François Couperin.

Ce n'est que vers la fin de sa vie que Charles Couperin dût recourir à un facteur pour effectuer un relevage. Ce ne fut pas Pierre Thierry mais son fils Alexandre Thierry, plus célèbre encore que son père.
Le marché fut passé le 21 février 1676. On y dit l'orgue fort fatigué mais la composition n'a guère à être retouchée. Seulement la pose d'un Cornet de Récit indépendant, harmonisé en vue de son usage en soliste, la double alimentation du Cornet du Grand-Orgue ne suffisant plus.

En 1678, à la mort de Charles Couperin, l'intérim est confié à Michel Richard Delalande à charge pour lui de ne laisser jouer quiconque d'autre « de crainte de la gâter ». L'orgue était donc en état et il n'a certainement pas demandé de travaux jusqu'à ce qu'il laisse l'orgue à François Couperin lors de ses 18 ans.

En fait, compte tenu de la confiance qui régnait entre le facteur et la Fabrique, des travaux successifs et plus conséquents ont été réalisés. On n'en n'a pas la preuve mais les doutes ne sont pas permis, au vu des registrations indiquées par François Couperin pour l'interprétation de sa « Messe des Paroisses ».
La pose d'un cornet de Récit indépendant a dû nécessiter un sommier à gravures intercalées, ce qu'atteste par la suite la réfection du châssis d'abrégé et la pose d'une Trompette de Récit après avoir libéré une chape du GO, en 1714. De plus, il est fait état d'un LA grave joué sur l'UT# au Grand-Orgue alors qu'il n'existait qu'au Positif et à la Pédale. En toute vraisemblance Alexandre a aussi augmenté le GO d'un Bourdon de 16' et il est alors difficile d'admettre qu'il n'ait pas refait le grand sommier.

En 1714 on a donc un orgue ainsi constitué depuis au moins 1685, date de la « messe des paroisses »:

Positif 49 notes,
La-Ut-Ré à Ut
Grand-Orgue (id) Récit 25 notes
Ut à Ut
Écho 37 notes,
Ut à Ut
Pédale 29 notes
La-Ut-Ré à Mi
Bourdon 8'
Montre 4'
Doublette
Fourniture
Cymbale
Nasard
Tierce
Larigot
Cromorne
Montre 16'
Bourdon 16'
Montre 8'
Bourdon 8'
Prestant
Doublette
Fourniture
Cymbale
Flûte 4'
Nasard
Tierce
Quarte
Cornet V
Trompette
Clairon
Voix Humaine
Cornet V
Trompette (en 1714)
Bourdon
Prestant
Nasard
Doublette
Tierce
Cymbale III
Cromorne
Flûte 8'
Flûte 4'
Trompette

Tribune de l'orgue de St GervaisLes jeux en gras sont nommément cités par Couperin mais les registrations telles que : fond d'orgue, petit et grand plein-jeu, jeux d'anches, grand-jeu, plein-jeu en taille, supposent à peu près tous les autres à l'exception de l'Écho. Couperin semble répugner à son usage si goûté auparavant et l'on ne s'étonnera pas qu'en 1714 il en supprime toute l'octave grave afin de faciliter le réglage de la mécanique des autres sommiers.

Après la mort d'Alexandre Thierry l'entretien a été confié à Pierre-François Deslandes qui, à son tour, mourut en 1709. L'entretien fut alors confié à François Thierry, neveu d'Alexandre.

Pour le relevage de 1714 Couperin attache beaucoup d'importance au toucher qu'il veut « libre et prompt ». Pour faciliter l'entretien de la mécanique, l'Écho perd son octave grave avec ses postages encombrants. Seule addition au plan, une trompette de Récit pour laquelle on sacrifie la Flûte de 4' du GO.

Bien que nous n'ayons pas de musique d'orgue de François Couperin après ses deux messes de jeune homme, il tînt avec gloire les claviers de Saint Gervais jusqu'en 1723 faisant accourir les disciples au pied de la tribune d'un orgue considéré comme « un des meilleurs du royaume ». Lassé par les conditions financières de sa charge, il fit recevoir comme survivancier son cousin Nicolas afin qu'il le remplace en temps ordinaires.
A sa mort, Nicolas devint titulaire en 1733 et à son tour, Armand-Louis lui succéda normalement en 1748.
A 21 ans, Armand-Louis était déjà un virtuose connu et l'orgue de Couperin-Le-Grand cessa tôt de le satisfaire à cause de son usure certaine après 35 ans de service. Mais surtout par suite de l'évolution du goût, la mode ayant remis en cause le bel équilibre classique.

L'orgue d'Armand-Louis Couperin.

Le jeune organiste mit cependant dix ans à obtenir la grande réfection souhaitée.
Il avait vu François Thierry mourir dès 1749 et l'entretien était passé à un modeste ouvrier, Louis Bessart. Dans les derniers mois de 1757 lui furent commandés les grands travaux de réfection dont la direction était confiée à Mouchet, architecte de la Fabrique. Ce dernier fut certainement l'auteur des plans et des dessins d'un buffet nouveau de par ses dimensions et le style.
Pour satisfaire l'organiste et sa femme, Élisabeth Blanchet (les clavecins...) également organiste, le plan de l'orgue fut modifié pour abriter deux Bombardes et une pédale à deux seize pieds ainsi que pour descendre le diapason d'un demi ton. En effet, Alexandre Thierry l'avait remonté au « ton de cour » en coupant les tuyaux (sauf le Nasard conique qu'il déplaça), peut-être moins pour adopter à Saint Gervais le diapason qu'on lui avait demandé d'appliquer à tous les orgues royaux (voir Versailles) que pour grossir les tailles trop fines (pour le goût Français) des tuyaux de facture flamande.
Ainsi les messes de Couperin ont toutes les chances d'avoir été composées sur un orgue en Si Bécarre et non en Si Bémol.
La nécessité de modifier toutes les charpentes donnait l'occasion de mettre la décoration au goût du jour.
Il fallait agrandir le buffet en hauteur pour abriter une Montre de 16 pieds réelle et les nouveaux sommiers à double gravure qui exigeaient plus de largeur et de profondeur. Force était de refaire la carcasse en utilisant au mieux les vieux bois. Les pilastres cannelés furent déplacés, retournés et certains prolongés pour encadrer la nouvelle Montre. Le menuisier Pierre-Claude Thiessé sous-traita la partie sculptée en la confiant à Jacques François Fichon, sculpteur du buffet de Saint Séverin. La modestie du prix à lui alloué explique le peu de recherche dans l'exécution et que ce grand corps harmonieux dans ses proportions ne vaille guère par les détails. De plus un badigeon général couleur noyer, afin d'uniformiser les parties anciennes et neuves, vira assez vite à la couleur chocolat.
Dès le début de 1758 le grand orgue avait donc été démonté et le service était assuré sur le seul positif.
L'année suivante l'architecte Mouchet s'occupa du petit buffet qui n'avait pas à être démonté car il s'agissait d'un nouveau meuble. Ce n'est qu'en 1763 que l'échange eut lieu. Là, au contraire, le prix élevé est expliqué par la richesse et la qualité des sculptures de Charles Rebillé.
Bessart avait certainement préparé tout ce qui devait être neuf dans ce positif quand survint sa mort en 1764. Sa veuve n'étant pas en état de faire assurer l'entretien par un ouvrier selon la coutume corporative, ce fut à François-Henri Clicquot que cette charge échoua.

Les travaux achevé par Bessart consistaient en la réfection de toute la partie mécanique y compris les sommiers, que le nouveau plan forçait à faire de neuf, « modernes »: 51 notes de ut à ré avec Ut# grave aux cinq claviers manuels, blancs; double gravure pour une Bombarde à main, et sans doute quelques jeux plus ou moins préparés. Le successeur de Bessart sera chargé d'achever le même programme.

D'après la tuyauterie, on peut faire remonter à Bessart la réfection complète du positif en raison du remploi maximum du matériel ancien, bien au delà de ce que fait Clicquot en général. 37 gravures chromatiques et 7 basses diatoniques de chaque côté, 11 chapes.

Puis les travaux suivirent leur cours sans hâte et Clicquot n'annonça leur achèvement que le 17 avril 1768. Non satisfait de certains remplois prévus, Clicquot avait envisagé de fournir de neuf « 6 rangées de tuyaux et un Hautbois de Récit ». D'après l'état actuel, nous essaierons d'identifier, en rouge, les « 6 rangées (+ le Hautbois) ».

Derrière la tourelle centrale avec abrégé propre, un Récit de 32 notes avec le Hautbois de Clicquot sur la chape prévue pour la trompette.

Dans le soubassement un Écho sur un sommier neuf à 27 notes et 3 chapes.

Mystère à la Pédale qui comporte 32 gravures pour 28 notes, 4 gravures à l'aigu ne sont par percées et les basses sont du côté de la nef de l'église.

Positif Grand-Orgue Bombarde Récit Écho
Montre 8'
Bourdon 8'
Prestant
Nasard
Doublette
petit jeu (flûte de 4'?)
Tierce
Larigot
Plein-Jeu VI
Trompette
Cromorne.
Grand Cornet V
Montre 16'
Bourdon 16'
Dessus de Flûte 8'
Montre 8'
Bourdon 8'
Prestant
Nasard
Doublette
Quarte
Tierce
Grosse Fourniture II
Fourniture III (1')
Cymbale IV (1/2')
Trompette
Clairon
Voix Humaine
Bombarde
Cornet V
Hautbois
Flûte 8'
Trompette

A la pédale, sur 25 notes, un Bourdon de 16' neuf est posté à l'extérieur pour les basses, une Flûte 8' de remploi, une Flûte 4' de remploi.
Sur 28 notes, de La0 à Ut3, des anches neuves de Clicquot: Bombarde, Trompette et Clairon.

A la réception Daquin et Balbastre se plaignirent de la mauvaise qualité du vieux Cromorne et le facteur se hâta d'en fournir un neuf.

Somme toute l'intervention de Clicquot a été beaucoup moins radicale que dans bien d'autres instruments.

Par la suite de petites mises au point ont dû être faites et une seule divergence avec le relevé du Citoyen Molard en l'an III nous laisse à penser que la Flûte de 4' du positif a été remplacée par un Clairon,

Armand-Louis Couperin mourut le 2 février 1789 suivi de peu par son aîné Pierre, survivancier et fréquent remplaçant depuis 1773. Leur succéda le cadet Gervais-François Couperin.
Puis l'église fut fermée en mars 1793, rouverte au culte de la Raison, puis rendue au culte Catholique le 19 juin 1795. L'orgue avait failli être vendu.
Lorsque que le 2 fructidor an III Molard passe avec ses experts organistes et facteurs, l'orgue est considéré « en bon état » et n'a besoin que d'un « repassage sur place ».
Le service continua, l'entretien fut assuré par Dallery en raison des absences fréquentes de Clicquot fils, puis de sa mort en 1801.

L'orgue de Gervais-François Couperin.

En 1811 on demanda à Pierre-François Dallery le relevage qui s'imposait. D'accord avec Couperin, le facteur dressa un sombre tableau de l'état de l'orgue afin d'inciter la Fabrique à ne pas lésiner.
Au relevage normal, le devis ajoutait « qu'il convenait de supprimer des tuyaux reconnus inutiles comme la Fourniture et la Cymbale (du GO), le Larigot et la Cymbale (nom unique pour le Plein-Jeu) du positif ».
Ces disparitions sont présentées comme un progrès.
Ensuite apparaissent les désirs d'augmentation de Gervais-François qui demande au Grand-Orgue une deuxième Trompette (qui deviendra la « première » parce que plus grassouillette que l'autre) et au positif une deuxième Flûte, une Clarinette et un Basson. La Flûte sera les basses, manchonnées, du Larigot , la Clarinette sera issue d'un Hautbois d'occasion et complété dans la basse par un Basson peut-être bien neuf, le tout placé sur la large chape du Plein-Jeu ôté.
L'orgue fut reçu les 26 et 27 août 1813 par Couperin et Guillaume Lasceux.

Et la suite ...

Après la mort de Gervais-François Couperin en 1826 Jean-Nicolas Marrigues, ami déjà âgé de Boëly, ancien élève d'Armand-Louis, fut nommé.

A sa mort, Alexandre-Pierre-François Boëly assura quelques temps le service. Préférant les Pleins-Jeux aux Tierces, il profita de la nécessité de réparer les grandes Montres pour poser au facteur Louis-Paul Dallery la question de la restitution des Pleins-Jeux.
La Fabrique refusa toute dépense.

On engagea en 1838 une récente lauréate du Conservatoire, Marie Bigot, qui dut se contenter de l'orgue tel qu'il était.
De même son successeur Baillet qui allait bientôt disposer au Chœur d'un second orgue, ce qui lui fit peu à peu abandonner le premier.
Pourtant, auparavant, en 1842, il fut demandé à Dallery de remplacer la Montre des tourelles et la restitution des Pleins-Jeux mais on lui refusa une soufflerie neuve et la possibilité d'ôter quelque jeu que ce soit. Pour être sûr qu'aucun échange de jeux ne puisse avoir lieu, on l'obligea même à travailler à l'intérieur de l'église. Dallery maugréa qu'il arriverait mal à placer 5 rangs de Plein-Jeu de positif sur la seule chape de Larigot, puis il se mit au travail tandis qu'on faisait repeindre le buffet d'une couleur encore plus foncée.
La réception eut lieu le 15 juillet 1843 avec, au positif, une Cymbale V, 2/3' et au Grand-Orgue une autre Cymbale V, 1' avec, dans la basse, un sixième rang de Tierce 2/5' que des déplacements et retailles ultérieurs ont partiellement transformé en unissons.

Cela ne provoqua pas pour autant un regain d'intérêt pour le grand orgue.

En 1845 on installa un petit orgue de Daublaine et Callinet (en fait un pur Louis Callinet) parmi les stalles, sans égard pour ce mobilier historique.
Seul Boëly vint assez souvent tenir le grand orgue, surtout après son éviction de Saint-Germain-l'Auxerrois et bien qu'il n'en ait jamais été le titulaire. Mais la présence du petit orgue rendit celui de tribune moins nécessaire. On s'en servit moins, on l'entretint moins encore. Pis, il failli brûler dans l'incendie d'un reposoir disposé sous la voûte du porche en 1853. Un tuyau de la Montre du positif fondit.
Dallery, en mal de clientèle, en profita pour proposer, en plus de l'échange du tuyau fondu, une soufflerie neuve et des modernisations en usage (un Récit expressif). On s'en tint au seul tuyau de positif pour 20 francs !

Après la mort de Boëly en 1858, de Baillet en 1880, le grand orgue entra de plus en plus en léthargie malgré diverses propositions de réfection toujours repoussées.

La première restauration.

En 1902, quand un prêtre actif, le Père Gauthier, voulut faire remettre en service le vieil instrument, les services de la ville de Paris lui conseillèrent de consulter Alexandre Guilmant.
Les travaux se firent en 1909. La maison Merklin fut chargé de remettre l'orgue en service sans rien y changer, pas plus la soufflerie cunéiforme que le pédalier à la française. Les Montres furent blanchies, l'intérieur fut dépoussiéré, des tuyaux muets reparlèrent, d'autres furent amuis (Plein-Jeu), la deuxième trompette servit à remettre en état les mauvais tuyaux de la première. C'est probablement à cette occasion que les bourdons furent mis à calottes mobiles et qu'ils perdirent leurs cheminées.

Ensuite, ce fut la guerre...

Pourtant en 1915, l'obstiné Curé Gauthier (il l'était devenu entre temps) amena aux claviers un amateur, pianiste puis claveciniste, qui allait pour Saint Gervais se faire organiste et le défenseur passionné de l'instrument. Il s'agissait de Paul Brunold. Avec des moyens de fortune il réussit à faire parler la moitié des jeux.
Mais le boulet ne passa pas bien loin. Le vendredi saint 29 mars 1918 un obus allemand* tiré depuis les environs de Meaux jeta deux travées de la voûte dans la nef de l'église et fit une centaine de morts. L'orgue ne fut pas touché mais reçut beaucoup de gravats. Une pierre tomba sur le banc entre le positif et le grand corps. Le reste de la charpente tint bon.
L'orgue fut bâché tandis qu'on réparait l'église.


Eglise Saint Gervais bombardée.

* On a longtemps pensé que l'obus avait été tiré par une "grosse Bertha".
En fait, on apprend grace à internet que la "grosse Bertha"  n'était pas un canon à longue portée et que ce n'est pas "elle" qui tira sur Paris :
Voir : http://html2.free.fr/canons/canparis.htm.

St Gervais: la console en 1921Console de l'orgue de St GervaisCe n'est qu'en 1920 qu'on put recommencer à penser à l'orgue. Le curé Gauthier en tête.
Deux clans se formèrent autour de deux projets opposés présentés par deux facteurs. Charles Mutin proposait une reconstruction complète tandis que Louis Béasse soutenait la possibilité d'une réparation à l'identique. Débâché, l'orgue put faire entendre son positif et les fonds du Grand-Orgue au triduum du 21 au 24 octobre 1920.
La ville de Paris préférait le projet de Mutin.
Consulté mais prudent, Charles-Marie Widor préféra s'entourer d'une commission qui choisît finalement le projet de Béasse Le principe en était que la restauration ne devait « en aucun cas être une modification, même partielle ». Toutefois on accepta de changer la soufflerie mais en gardant au musée un soufflet cunéiforme, comme y fut gardé aussi le pédalier à la française tandis qu'on posait un pédalier allemand (qui était prévu pour pouvoir lui substituer le pédalier français conservé). On maintint même des désordres évidents : silence du sixième rang de plein jeu dont la basse sonnait toujours la tierce, échanges passés de tuyaux entre jeux d'anches. On trouva même, au cours du démontage, un bouton de tirage ancien sur lequel furent copiés tous les autres (ils avaient été changés en 1823). Une modestie exemplaire.
Toutefois on déplaça au fond de l'étage du grand sommier ceux de Récit et d'Écho. On adopta un plan nouveau pour la traction de la Pédale. Le bloc des claviers, trop bas pour Joseph Bonnet, fut rehaussé d'une douzaine de centimètres, l'ancien banc disparut ainsi que les bougeoirs en fer.
L'orgue fut inauguré le 7 février 1924.
Un ventilateur électrique fut posé en 1927.
Le 30 août 1924 la partie instrumentale de l'orgue fut classée comme « monument historique », une première. Paul Brunold espérait ainsi que l'orgue ne pourrait « jamais être transformé ni seulement modifié ». Confiance passionnée et touchante de naïveté !

L'entretien est confié à Louis Eugène Rochesson.
Un dépoussiérage eut lieu en 1934 et, pour permettre à Paul Brunold de jouer sans trop de peine le cinquième clavier, la surélévation demandée par Bonnet fut réduite de moitié après une fastidieuse rallonge de toutes les vergettes.

Jean Ver Hasselt commençait alors son rôle de suppléant. Peu après eut lieu la rencontre de Charles Tournemire avec cet orgue, à l'origine de sa « Suite évocatrice » écrite pour lui en 1938.

La deuxième restauration.

Puis vint la guerre et le remplacement des verrières par des châssis de bois garnis de vitres de plastique laissant entrer froid et vent. Malgré un fonctionnement parfois incertain, l'orgue assura régulièrement son service et Paul Brunold put même le faire entendre régulièrement lors des messes radiodiffusées.

Jean Ver-HasseltJean Ver Hasselt devint titulaire à la mort de Paul Brunold en 1948, année précédant la repose des verrières au cours de laquelle le positif fut inondé lors d'un orage. La remise en état du positif, occasion d'un dépoussiérage de l'orgue, révéla la signature de Langhedul* sur un tuyau de la Montre qui avait repris place en 1922 sans même être regardé de près.
* L'authenticité de cette signature a été mise en doute par Dufourcq qui, nommément, a accusé Hardouin de « faux » dans un bouquin parfaitement inintéressant sur ce plan et qui porte le doux titre de « Mélanges François Couperin ». L'authenticité réelle a été prouvée par la suite, quand on a retrouvé d'autres signatures sur d'autres tuyaux.

En 1949 commença le reclassement des jeux d'anches. 15 ans plus tard, celui des désordres les plus évidents du Plein-Jeu, non sans une certaine perplexité. Plus tard un Nasard d'Écho fait de tuyaux de récupération prit place sur la chape vide de ce sommier.

Ecouter Jean Ver Hasselt avant la deuxième restauration : un Noël de Louis-Claude D'aquin « Bon Joseph écoutez-nous ». Une vieille cire !
Attention : 4,3 Go

A l'approche du 3e centenaire de la mort de François Couperin (en 1968), un nouveau « comité d'organisation des Concerts de Saint Gervais » exigea qu'une grande restauration fit de l'orgue dit « des Couperin » (un « Crocodile » pour Widor) un « bel orgue » de toute urgence.
Une admiration légitime de François-Henri Clicquot, jointe au mépris de tout le matériel ancien qu'il avait pu y conserver, conduisit au principe de restituer l'orgue de 1769 et, ce, d'après la connaissance assez floue qu'on en avait.

Superbe cliché piqué là où pointe le lien.- Relevage et remise en parfait état des parties existant en 1769,
- Correction des libertés prises en 1921 : emplacement du Récit et de l'Écho, mécanique de la Pédale, mais on n'allait pas jusqu'à supprimer les leviers d'aide à la traction de la Bombarde ni à la restitution pourtant facile du pédalier français et des soufflets cunéiformes.
- Rétablissement de la composition de 1769 au prix des modifications inévitables aux sommiers. Suppression du dessus de Flûte de Dallery et du Basson-Clarinette de 1813 pour restituer un Larigot neuf et un Plein-Jeu « à la Clicquot » sans autre précision. Au Grand-Orgue suppression de la deuxième trompette de Dallery père et du Plein-Jeu du fils pour un grand Plein-Jeu X (sic) également aussi vaguement « à la Clicquot ».

Le 5 mai 1967 marché était passé sur le programme établi par Dufourcq avec la maison Gonzalez (Danion) choisie sans alternative réelle par le rapporteur. Le 5 juin le démontage fut entrepris dans une hâte brutale qui légitima la création d'un comité de défense de l'orgue de Saint Gervais et par la suite celle de l'AFSOA. (Association Française pour la Sauvegarde de l'Orgue Ancien).

Mai 68 grondait déjà sous la tribune de Saint Gervais.

Devant cette levée de boucliers, le Ministère des Affaires Culturelles cessa tout crédit, prépara une refonte de la Commission des Orgues et suspendit les travaux à Saint Gervais, suspension qui devait durer 6 ans. Seuls les travaux au buffet pouvaient continuer : décapage à cru sans recherche des peintures et des décorations du passé.
En 1969, pour ne pas maintenir le spectacle affligeant et accusateur du buffet béant, on remonta provisoirement les tuyaux de façade remis en état.
En 1970, la tâche du rapporteur fut confiée à un groupe de travail vaguement paritaire dans lequel œuvra Michel Chapuis représentant « ceux qui étaient d'un avis différent sur les travaux à entreprendre »

Un nouveau devis du facteur, du 18 septembre 1971, comporta en conséquence :
- Au positif, pose d'un dessus de Bourdon à cheminées neuf au lieu de boucher la Flûte de Dallery et avec éviction de cette dernière au musée. Faute de faux-sommier pour lire la composition du Plein-Jeu d'origine, celui de Dallery sera maintenu; le larigot « flûté et d'étoffe » n'évincera le Basson-Clarinette que faute de trouver une meilleure solution (en fait ce sera un Larigot étroit à l'allemande, en étain).
- Au Grand-Orgue, pour conserver la deuxième Trompette tout en rendant les 3 chapes d'origine au Plein-Jeu, la Voix-Humaine sera reportée sur une chape supplémentaire; le Plein-Jeu IX sera neuf et non pas composé sur le plan néo-classique prévu initialement mais d'après le relevé fait sur le faux-sommier d'origine (il avait été conservé).
- Au sommier de Pédale, les gravures non utilisées serviront à faire monter, si possible, le pédalier jusqu'au Mi3. En fait il ne montera que jusqu'au Ré.

Sur ces bases, les travaux de restauration purent reprendre en mars 1973 sous la direction effective et très prudente de Jacques Bertrand, organier de la maison Gonzalez.

Entre temps, Jean-Claude Malgoire et sa « Grande Écurie » donna à Saint Gervais un concert pour lequel il programma la « Messe pour les instruments au lieu des orgues » de Marc-Antoine Charpentier, ce qui n'eut pas l'heur de plaire en haut lieu, le tricentenaire torpillé étant encore dans les mémoires.

A la fin des travaux en 1974, l'orgue de Saint Gervais nous présenta :

Positif, 51 notes
Ut1 à Ré5
Grand-Orgue, (id) Bombarde, (id) Récit, 32 notes
Sol2 à Ré5
Écho, 27 notes
Ut3 à Ré5
Pédale, 27 notes
Ut1 à Ré3
Anches : La0 à Ré3
Montre 8' 1601 (façade 1758)
Bourdon 8' 1973
Prestant 1601
Nasard 1659
Tierce 1659
Plein-Jeu V 1843
Larigot 1973
Cromorne 1769
Trompette 1766
Clairon 1780
Cornet V 1685
Montre 16' 1601 (plates-faces 1758, tourelles, 1843)
Bourdon 16' 1676 (cheminées disparues)
Montre 8' 1766 (façade 1758)
Dessus Flûte 8' 1766
Bourdon 8' 1601 (basses bois 1685)
Prestant 1601
Nasard 1628
Doublette 1601
Quarte 1685
Tierce 1628
Grosse Fourniture II 2' 1973
Fourniture III 1' 1973
Cymbale IV 2/3' 1973
Trompette 1766
Trompette 1812
Clairon 1766
Voix-Humaine 1628
Bombarde 16' 1766
Cornet V 1676
Hautbois 1766

Nasard 1967 (récup')
Flûte 8' 1766

Trompette 1714

Bourdon 16' 1766
Flûte 8' 1601
Flûte 4' 1659
Bombarde 1766
Trompette
1766
Clairon
1766

Un beau patchwork ... Mais quelle Histoire ! Jamais orgue n'eut tant de facteurs aussi respectueux du travail de leurs prédécesseurs. Bien aidés en cela par l'impécuniosité de la paroisse au 19e siècle.

Majorité des tuyaux:
1601- Mathieu Langhedul

1628 - Pierre Pescheur
1659 - Pierre Thierry
1676 - 1685 - Alexandre Thierry
1714 - François Thierry
1758 - 68 - Louis Bessart

1766 - 69 - 1780 - François-Henri Clicquot
1812
- Pierre-François Dallery
1843 - Louis-Paul Dallery
1973 - Danion - Gonzalez

Au musée (premier étage de l'orgue, contre le mur) sont conservés :
- Le basson-Clarinette du positif,
- Le dessus de Flûte, 27 anciennes basses du Larigot de 1685 manchonnées en 1812,
- Le Plein-Jeu VI de 1843
- L'ancien pédalier français.

Le ton est toujours en Si bémol (un peu au dessus). Le tempérament pas tout à fait égal.

 

Retour ABéCéDaire Retour Accueil