Traité de l'Orgue de Marin Mersenne


PROPOSITION XI.

Expliquer en combien de manières l'on peut faire hausser ou baisser le ton, ou le son des tuyaux d'Orgue , & des Anches sans changer leurs longueur , ou leurs largeurs , & de quels accordoirs usent les Facteurs.

 

 

 

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Les Anches montent ou baissent de ton par le mouvement de leurs ressorts ou rasettes : mais on les fait encore baisser sans remuer le ressort, en mettant de petits morceaux de cire sur différents endroits des languettes, qui se meuvent d'autant plus lentement qu'elles sont plus chargées. Il arrive que le son des Anches en soit plus doux et plus agréable.

Quant aux autres tuyaux, s'ils sont ouverts, on les fait monter de deux manières : en augmentant la hauteur de leur bouche, ou de leur lumière, et en les ouvrant davantage par le bout d'en haut que l'on coupe aussi quelques fois pour diminuer la longueur jusqu'à ce qu'ils soient d'accord. On les fait baisser de ton en les rétrécissant par le même bout ou en mettant un peu de cire sur le haut de la bouche afin de la diminuer.

Les Facteurs usent de petits cônes creux pour accorder ces tuyaux. Ils en diminuent la largeur en les affublant du dit cône, dont ils les pressent jusqu'à ce qu'ils soient assez étroits et qu'ils descendent au ton qu'ils doivent avoir pour être d'accord avec les autres. Ils poussent le sommet ou la pointe du dit cône dans le même tuyau lors qu'ils veulent l'élargir pour le faire monter

Les figures font voir la forme des accordoirs dont le premier A B C D sert pour rétrécir le haut des tuyaux ouverts. Pour avoir plus de force, on l'empoigne par le second F H G pour pousser et tourner le premier sur lesdits tuyaux. Et inversement pour les ouvrir. Les deux accordoirs sont reliés par une tige soudée.
On fait ordinairement ces accordoirs de laiton. Parce qu'il y a plusieurs grosseurs de tuyau, les Facteurs ont besoin de plusieurs sortes d'accordoirs dont les uns servent pour les moindres tuyaux, et les autres pour les plus grands.

Quand les tuyaux sont bouchés, ces accordoirs ne peuvent servir. On soude des petites lames de plomb aux deux côtés de leurs bouches afin de les rabattre dessus pour faire baisser de ton, ou de les écarter pour les faire monter à des sons plus aigus. Les Facteurs les appellent oreilles, comme si elles écoutaient si les tuyaux sont d'accord. Lors qu'on les rabat, ils disent que l'on ombrage la lumière.
On use aussi de petits morceaux de cire pour le même sujet.
Quand les tuyaux n'ont point d'oreilles, comme il arrive aux tuyaux de bois, l'on met souvent des tampons que l'on pousse tant que l'on veut vers leur bouche jusqu'à ce qu'on les ait mis d'accord. Afin qu'ils bouchent le tuyau plus justement, on les couvre d'un morceau de cuir de mouton qui empêche que le vent ne se perde entre la surface interne du tuyau et le tampon.

Toutes ces manières dont on use pour accorder les tuyaux servent seulement pour les faire hausser ou baisser d'1/4 de ton ou d'1/2 ton. C'est pourquoi les Facteurs les taillent si justement qu'ils ne sont pas éloignés de plus d'un demi ton de leur vrai accord.

On peut encore faire monter le tuyau en élargissant le trou de leurs pieds, qui leur donnent un vent plus fort, et les faire descendre en diminuant le vent par la diminution du même trou. Je parlerai du changement de son qui se fait par le changement du vent dans un autre article.

 

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