Traité de l'Orgue de Marin Mersenne


PROPOSITION XX.

Déterminer quelles sont les propriétés de chaque jeu de l'Orgue , & pourquoi l'on aperçoit pas les dissonances que font les Organistes en jouant.

 

 

 

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Puis que les tuyaux sont différents en grandeur et en matière, il n'y a nul doute qu'ils ont des tons et des sons différents qui affectent l'ouïe et l'esprit en diverses manières. Les tuyaux bouchés parlent plus doucement que les ouverts à raison que le vent qui sort par la lumière du tuyau ne bat leur languette si fort que les ouverts, d'autant que le vent qui entre dans la bouche rencontre celui qui revient de dedans le tuyau, qui affaiblit l'impétuosité de celui qui entre car le vent va frapper le bout ou le fond du tuyau est contraint de ressortir par la même bouche par laquelle il est entré, parce qu'il n'a point d'autre sortie.
Quant aux tuyaux de bois, ils sont plus doux que ceux d'étain parce que le bois est plus mou ou qu'il a plus de pores. Il est difficile d'expliquer la qualité des sons de chaque jeu si on ne les rapporte aux instruments dont ils imitent le son. Par exemple, aux flûte d'Allemand, aux cornets, aux trompettes, etc. car la plus grande partie de nos connaissances est fondée sur la comparaison que nous faisons de l'un à l'autre.
Il suffit de dire ici que les jeux de l'orgue peuvent imiter tous les autres instruments à vent, et peut être de ceux qui utilisent de cordes, comme la viole et la lyre.

Pour les dissonances, c'est plus facile à comprendre si l'on entend les notes qui suivent.
Chaque portée représente un jeu, et ces deux jeux sont à la tierce l'un de l'autre. Le dessus qui fait la tierce avec la basse est toujours éloigné d'une tierce majeure à chaque tuyau. Si l'on suppose que les trois notes qui sont à la basse soient les trois sons que l'on joue sur la basse, les trois notes du dessus sont les trois notes des trois tuyaux du dessus qui parlent à la tierce. Si l'on joue ensemble la première et la deuxième note de la basse, on obtient une quinte superflue (triton), et si l'on touche aussi la troisième, on obtient une septième.
(DGW : .. et même un demi ton : sol et sol#. On entend une septième parce qu'il y a une erreur sur la portée : la tierce du sol est si, et non si# !).
Il est aisé de montrer la même chose des neuvièmes et de plusieurs autres dissonances que l'on est contraint de faire sur l'orgue, encore qu'on ne les aperçoivent pas ordinairement. La raison de ce phénomène doit être prise de la faiblesse des moindres tuyaux dont les sons ne paraissent quasi nullement parmi les plus grands jeux parce que leurs sons cachent, étouffent et engloutissent les autres comme la lumière du soleil cache celle des chandelles.
Or il est certain que les six notes ut, ré, mi, fa, sol, la, se peuvent parfois rencontrer sur une même touche de sorte que toutes les dissonances accompagnent toutes les consonances, ce qui ne pourrait être que très mauvais et insupportable si les sons qui discordent étaient assez forts pour être ouïs et remarqués. Ce qui n'empêche pas que ces petits jeux ne rendent l'harmonie plus remplie et plus massive, ou solide, car ils donnent du lustre aux tuyaux qui font les unissons et les octaves. Ces derniers ont ce semble trop de douceur pour être agréables si l'on n'y mêle des sons qui tiennent de l'aigre, du piquant et de l'aigu, et qui fassent mieux goûter l'harmonie dans laquelle il suffit que les consonances prédominent et qu'elles préoccupent tellement l'oreille qu'elle n'en perde point l'idée par la présence des dissonances.

 

 

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