Traité de l'Orgue de
Marin Mersenne.


PROPOSITION XXXVI.

Expliquer comme il faut construire les jeux d'Orgue , pour prononcer les voyelles , les consonnes , les syllabes , & les dictions.

 

 

 

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Il est certain qu'il n'y a que les tuyaux à anches qui puissent servir à la prononciation des voyelles, des consonnes et ses syllabes, comme enseigne l'expérience. Lesdits tuyaux peuvent faire cela puisque nous expérimentons que les appeaux font des syllabes si semblables à celles des oiseaux qu'il accourent et sont pipés et pris par le moyen de cette imitation. Ceci arrive sensiblement aux cerfs et aux renards et à plusieurs autres bêtes dont on imite le bramer, les clapissements et les autres cris avec des anches qui sont plus ou moins courtes selon l'aigu des sons et des voix qu'on veut représenter. Il faut remarquer que la configuration et la modification du son se fait principalement par les différentes figures du corps du tuyau et non par celle des languettes ou des échalottes ("rigoles") qui doivent toujours être de même façon.

Le corps du tuyau peut être altéré en plusieurs manières, soit en mettant quelque ressort dedans qui frappe l'air par des mouvements différents, ou seulement en posant la main sur le haut de la boite et en l'ôtant en même temps que le son du tuyau commence à se faire. Cette position et élévation des doigts ou de la main fait prononcer à l'anche les syllabes et et non ve et fe parce que l'anche prononce le grand ê qui est entre a et e et que l'on peut nommer a féminin et e masculin si l'on aime mieux en faire une nouvelle voyelle. De la vient que les Voix Humaines de Orgues semblent bêêller comme les brebis ou comme les veaux.

Comme on ferme tellement les deux mains sur la même extrémité du corps qu'elle vont s'apointissant en forme de cône, l'on fait la voyelle v, ce qui montre qu'il faut donner la même figure au bout du corps plutôt qu'aux lèvres pour leur faire prononcer les mêmes syllabes. La voyelle o est entendue quand on ferme les mains en rond, de même que lorsqu'on ferme le tuyau élargi en façon de Trompette, et percé de 3 ou 4 trous. La voyelle a se fait par le même élargissement du corps ouvert et percé d'autant de trous. L'on peut voir la 43e proposition du Livre de la Voix où j'explique les mouvements de la langue et des lèvres qui font les voyelles et les consonnes afin de mettre des ressorts au corps du tuyau pour imiter ces mouvements.

Je laisse la recherche des consonnes aux habiles Facteurs qui les pourront aisément trouver par l'expérience de plusieurs corps dont les uns finissent en cône, les autres en entonnoirs en forme de graine, et en toutes les autres façons nécessaires en ajoutant certains ressorts dedans ou dessus l'ouverture du corps qui feront les consonnes en même temps que l'anche commence à sonner et à prononcer sa voyelle. Chaque consonne ne s'entend qu'au même moment que la voyelle commence de sorte que l'on ne peut savoir si l'on a prononcé une consonne ou la seule voyelle quoique le même son continue si l'on n'a ouï le commencement de la prononciation. On ne peut savoir si un homme chante ba, ca, da ou fa lorsque l'on oui sa voix a et que l'on n'a pas été au commencement de la prononciation, de manière qu'il semble que les consonnes ne sont autre chose qu'une certaine circonstance des voyelles.

Il suffirait de trouver les tuyaux qui fissent les syllabes et conséquemment les dictions du sanctus ou de l'agnus dei. Les 13 tuyaux de l'octave suffiraient pour le chanter à 4 parties, lesquels il faut multiplier par 17 pour avoir 221 tuyaux qui fassent toutes les syllabes dudit agnus avec chaque touche de cette octave, par le moyen de laquelle on pourra chanter l'Agnus en plus de 10 000 manières différentes.
Il faut toutefois remarquer que les syllabes qui commencent par une consonne et qui finissent par une autre comme les syllabes car, nous, par, etc. sont les plus difficiles. C'est pourquoi l'anche a besoin de deux ressorts pour ce sujet, dont l'un frappe les bords du corps au commencement et l'autre à la fin de la prononciation. Ce qui suffit pour exciter les bons esprits et les ingénieurs à faire prononcer toutes les syllabes aux tuyaux, et conséquemment toutes sortes de discours. Mais il faudrait plusieurs tuyaux à l'unisson pour prononcer plusieurs syllabes différentes au même ton. Par exemple il en faudrait quatre pour prononcer la diction Veritatem.

 

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