Traité de l'Orgue de
Marin Mersenne.


PROPOSITION XXXVII.

Expliquer la manière de visiter les Orgues , & de connaître les fautes des Facteurs , où l'on verra de quelle sorte les défauts de l'Orgue peuvent être réparés.

 

 

 

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Je ne parle pas ici du buffet des Orgues dont la proportion et la beauté doit être jugée par les Architectes et par les Menuisiers mais seulement de toutes les parties qui contribuent à la bonté et à la perfection d'une Orgue, qui consiste en l'absence des défauts qui s'y peuvent rencontrer. Nous pouvons les réduire à huit, dont quatre de grande conséquence et quatre auxquels nous pouvons remédier.

Il faut premièrement et particulièrement observer si, tous les jeux étant fermés, il n'y a nul tuyau qui corne lorsque l'on touche chaque marche du clavier. Ce défaut est très grand et vient de la part du registre qui se tire trop ou qui ne se tire pas assez ou qui ne joint pas contre sa chape. On peut le corriger en frappant sur ses clous pour la faire serrer, quoi qu'il faille prendre garde, si les jeux étant tirés, il y a quelque tuyau qui corne alors qu'on ne touche point sur le clavier. Pour lors, il faut voir dans la réserve du vent du sommier (la laye) si ce défaut vient de quelque ordure engagée entre la soupape et le sommier, ou si ladite soupape, n'étant pas droite, ne se joint pas bien contre le sommier, ou encore si, étant placée de côté, elle ne couvre pas entièrement la rainure.

En second lieu, il faut voir sur chaque touche du clavier, après avoir tiré le premier jeu que l'on appelle Prestant, si, en faisant parler une marche, il ne vient point d'emprunt de celle qui lui est voisine, car ce défaut est l'un des plus grands et des plus désagréables qui se puisse rencontrer dans l'Orgue parce qu'il fait de faux accords à toute heure et qu'il est plus difficile d'y remédier qu'aux précédents. Il peut procéder de trois causes. La première est quand la rainure a quelque ouverture, si petite qu'elle puisse être, de sorte que le vent qui lui est donné passe au travers et entre dans celle dont elle est proche. On peut l'éviter si, en faisant l'Orgue, on doubles les rainures (les gravures) de parchemin par le dedans.
La seconde cause peut venir du haut des rainures sur lesquelles on colle ordinairement un cuir. S'il n'est pas assez bien collé par tous les endroits, il donne passage au vent d'une rainure à l'autre. Ce qu'on peut aisément éviter en construisant le sommier. Si l'on applique de petites règles sur chaque rainure en les mettant dans deux petites feuillures que l'on fera de chaque côté de la rainure et si l'on colle le cuir ordinaire par dessus, il sera impossible qu'il s'y fasse quelqu'emprunt.
La troisième cause peut venir de la chape qui ne porte pas aplomb sur son registre d'où il arrive que le vent sort de l'un des trous et se glisse tellement entre deux qu'il fait corner les autres tuyaux prochains.

En troisième lieu, les soufflets doivent tellement être faits qu'ils n'altèrent point et qu'ils soient égaux en force. Le vent de l'un ne se doit point communiquer à l'autre et quand ce vice s'y rencontre, c'est que la languette du mufle du soufflet ne joint pas sur le carré du porte vent ou sur le mufle sur lequel il est posé. On ne peut l'éviter qu'en décollant le soufflet.
Quant à l'égalité du vent qu'il doit fournir, elle peut manquer pour deux raisons. La première vient de l'inégalité des poids qui sont sur les deux soufflets. La seconde raison se prend de la construction des soufflets et est de très grande importance, ce qui arrive quand ils poussent leur vent avec plus de force au commencement qu'on les a levé qu'à la fin, de sorte qu'il est quasi impossible d'accorder l'Orgue. Ce défaut parait en deux manières dont l'une est quand le vent va toujours en diminuant de force, ce qui procède des éclisses qui ne sont pas libres. L'autre est quand le vent est égal en de certains endroits et qu'il va par secousses aux autres, parce que les éclisses s'entrecoupent les unes contre les autres en descendant. On ne peut remédier à ces défauts qu'en rompant les soufflets pour les refaire de nouveau.

En quatrième lieu, l'on doit considérer si les tuyaux du Prestant sont égaux en force car cette égalité est l'un des plus grands ornements de l'Orgue, comme l'inégalité est très désagréable. Si cela procède de l'ouverture du tuyau, ou de la languette qui est parfois trop serrée et abattue, il est aisé d'y remédier avec la pointe d'un couteau.

En cinquième lieu, il est nécessaire d'avoir un habile Organiste pour visiter l'accord du Prestant, non tant pour en jouer comme pour avoir bonne oreille. Si le premier des jeux, qui est le fondement des autres, n'est pas bien d'accord, on ne peut attendre autre chose des autres qu'un perpétuel battement qui sera si rude à l'oreille qu'il vaudrait beaucoup mieux ne se servir point de telles Orgues.
Cette visite se fera exactement en voyant si les quintes des lettres suivantes sont tempérées, à savoir de C en g, de D en a, d'E en b carre, de F en c, de G en d et d'A en e. Ces lettres sont les principales du genre Diatonic, c'est à dire si ces quintes sont un peu affaiblies et plus basses que leur justesse.
Et puis il faut voir la même chose sur les feintes en prenant les quintes de b carre en #f, de #f en c#, et de c# en g#. Et pour les deux qui restent, il faut prendre f et descendre en b mol, et de b mol descendre en #e. Il faut que #e soit un peu plus haut que la justesse car l'on aura par ce moyen toutes les consonances requises, à savoir les tierces et les sixtes tant majeures que mineures.
Ce qu'ayant trouvé dans l'étendue d'une octave, il faudra suivre chaque touche à l'octave jusque au haut du clavier.
(Petite précision : quand Mersenne écrit #e, cela veut dire "la feinte de e" soit notre mi bémol. Nous constaterons qu'il n'y a jamais de d# ou de #d. Au contraire, #f est la feinte de f, soit notre fa#. Dans le texte, il met à la fois #c et c#. Dans les deux cas c'est "la feinte de c", donc notre do#. b carre est notre Si, et b mol est notre Si bémol. Là aussi, il n'y a pas de a#).

En sixième lieu, il faut voir si chaque jeu répond au Prestant pour l'accord et pour l'égalité des tuyaux et qu'ils parlent tous nettement sans qu'il manque aucun tuyau.

En septième lieu, il faut considérer si le sommier et les abrégés sont bien faits, ce que l'on connaîtra, quant au sommier, en voyant la disposition des tuyaux qui y sont placés, et particulièrement si les chapes et les registres joignent bien, s'ils glissent facilement et si la réserve du vent est si bien fermée que le vent n'en sorte qu'en ouvrant les soupapes. Finalement, si le regard est fait bien à propos pour visiter les soupapes et pour y remédier si par hasard il s'y engage quelque ordure.
Quant aux abrégés, on connaîtra s'ils sont bien faits quand le clavier n'est point tardif à donner le vent aux tuyaux, qu'il se ferme aisément et qu'il n'est pas besoin d'enfoncer beaucoup les touches.

En huitième et dernier lieu, il faut voir si les soufflets sont bien étanches et si le vent ne se perd point. On peut y remédier en collant de petites pièces de cuir aux endroits par où le vent sort. Mais si le vent des soufflets est trop lâche et trop faible, sans toutefois qu'on l'entende sortir, cela provient de ce que les Facteurs n'ont pas frotté le bois de colle par le dedans et que le vent passe à travers les pores.
L'on peut voir aussi si le Tremblant qui est situé dans le porte vent est parfait, c'est à dire s'il ne bat point trop rudement comme il arrive s'il n'est point assez doublé de cuir, où s'il bat trop promptement, à quoi il faut remédier en diminuant le poids qui y est attaché. Voir aussi s'il n'altère point trop, c'est à dire si les tuyaux ne diminuent point trop leur force quand il est tiré, ce qui proviendrait de, ce qu'étant trop petit, il n'aurait pas assez d'ouverture pour fournir aux jeux que l'on tire.

Quant aux jeux d'anches, il suffit d'observer s'ils parlent promptement et nettement.

 

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