Traité de l'Orgue de
Marin Mersenne.


PROPOSITION XL.

Expliquer la tablature de l'Orgue , & la plus grande vitesse dont on peut toucher les pièces de Musique sur le clavier ; où l'on voit la musique composée par le Roy.

 

 

 

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La partition en plus grand ?Plusieurs ont donné de la tablature pour les Orgues en plusieurs façons. Les uns l'ont mise sur six lignes comme celle du Luth, pour les quatre parties. Les autres ont usé des seules lettres sans lignes, comme Jacques Paix, organiste de Lavingue. D'autres se sont servi de dix lignes dont les cinq premières contiennent le dessus et la haute-contre, et les cinq dernières séparées des cinq premières contiennent la taille et la basse. Problème des forces mouvantes de Caux, qui donne 65 mesures d'un madrigal composé par Alexandre Strigio et mis en tablature d'Orgue par Pierre Philippe.
Nous usons ici de ce genre de tablature comme de la plus agréable à œil et de la plus commode de toutes celles qui ont paru jusqu'à présent. Parce que l'on en trouve tant qu'on veut dans les Hymnes et dans les Magnificat de Monsieur Titelouze, nous mettrons seulement ici le premier couplet de la Chanson composée par le Roy laquelle avait été promise dans la 33e Proposition du 3e livre des Instruments à cordes où elle n'a pu être mise pour certaines raisons.

Mais il serait nécessaire d'avoir plusieurs caractères particuliers pour marquer les endroits des martèlements, des tremblements, des battements et des autres gentillesses dont cet organiste enrichit son jeu lorsqu'il touche sur le clavier, lesquels on aura quand le sieur Ballard imprimera sa tablature et celle de ceux qui touchent parfaitement l'Orgue et l'Épinette.
Il resterait maintenant à expliquer la manière de toucher l'Orgue et comment les enfants doivent commencer à mettre les mains sur le clavier pour faire toutes sortes d'accords et de fugues, tant liées que déliées, et à montrer comme l'on doit composer toutes sortes de pièces pour l'Orgue. Quant au premier, il est très difficile de le comprendre sans la conduite des Maîtres, sur quoi il faut remarquer qu'il y en a qui enseignent si mal à porter les mains sur les touches du clavier que leurs écoliers ont autant ou plus de peine à oublier ce qu'ils leur ont mal appris qu'à s'accoutumer au beau toucher d'un maître excellent, qu'il faut choisir dès le commencement afin d'acquérir la bonne grâce et le beau maintient qui rend le sieur de la Barre* et ceux qu'il prend la peine d'enseigner et qui sont faits de sa main, incomparable.
Quant au second, j'ai parlé assez amplement de la composition dans un livre entier sans qu'il soit besoin de le répéter ici. Quoique l'on puisse remarquer plusieurs particularités qui ne sont propres qu'à l'Orgue et aux autres instruments à clavier.
Un Organiste est d'autant plus excellent qu'il fait mieux entendre le plain-chant ou le sujet, qu'il fait mieux chanter les autres parties du contrepoint et qu'il fait mieux les cadences.
Quelques uns font grand état de ceux qui peuvent faire trois ou quatre cents mesures de bon contrepoint figuré contre un point d'Orgue. Les autres de ceux qui ont une grande vitesse et légèreté de main, comme il arrive losqu'ils font trente-deux notes dans la mesure binaire qui dure seulement une seconde de minute. Les autres, enfin, de ceux qui font un très grand nombre de passages, de diminutions et de variétés contre tel sujet qu'on leur puisse donner. A quoi on peut ajouter que ceux qui jouent d'un beau mouvement et d'un bonne grâce et qui sont justes à la mesure sont les plus parfaits de tous, particulièrement s'ils ont tout ce qui a été remarqué ci-dessus et s'ils savent user des degrés Chromatiques aussi parfaitement que les Diatoniques.

* (Le sieur de la Barre était à cette époque Organiste de N.D. de Paris et avait sous les doigts l'Orgue de Valeran de Héman).

 

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