les instruments et la musiqueles orgues du temps de bachUn texte de Marc Garnier dans "Les Facteurs d'Orgues Français" N° 10 - 1985 |
||
Dans le cadre du tricentenaire de la naissance de jean-Sébastien Bach, les thèmes à cette occasion, ne manquent pas et, certains d'entre-eux ont déjà largement été traités cette année 1985 par des amateurs et les spécialistes du monde entier. Pour ma part, en tant que constructeur d'orgues, je souhaiterais vous entretenir des deux grands types d'instruments que l'on trouvait en Allemagne au XVII-XVIIIe siècles. Mais tout d'abord, il serait bon de rappeler très brièvement l'évolution des tempéraments qui accompagnent ces époques de style. Le partage pythagoricien de l'octave en 12 demi-tons est pratiqué depuis l'aube des civilisations dans tous les pays (on le trouve parfaitement illustré encore au Japon dans la musique traditionnelle). En Europe Occidentale, il se développa jusqu'à la fin du XVe siècle début du XVIe. Ce tempérament a la particularité d'avoir 11 quintes et quelques tierces presque justes générant ainsi trois accords parfaits (c.f.g.). Lors de l'apparition des instruments à claviers, on utilisa intensivement ce tempérament et très vite, on se trouva aux limites de la modulation harmonique. A ce stade, le désir et l'attrait de tonalités nouvelles nécessita d'augmenter le nombre de tierces justes. Pour y arriver, il a fallu trouver un intervalle moyen pour les quatre quintes qui bouclent l'intervalle de tierce. Cette démarche peut être appliquée huit fois pour les tierces, ce qui nous donne 8 tierces justes et 11 quintes mésotoniques (réduites d'un quart de comma majeur). L'époque mésotonique est ainsi née et fut la base de la musique Européenne généralement jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. (On trouve, même jusqu'au début du XXe siècle surtout en Italie et en Autriche des instruments construits dans la tradition mésotonique avec l'octave courte !) C'est en Allemagne qu'on a rapidement modifié le tempérament mésotonique et c'est également dans ce pays que sont apparus les premiers tempéraments de transition. Ce n'est que vers le milieu du siècle dernier (19e), à la fin de la vie de Chopin et du temps de Liszt qu'on a utilisé systématiquement la division égale de l'octave. Ce tempérament moderne a la particularité d'avoir un seul intervalle juste (l'octave) et, tous les autres sont faux mais réputés acceptables. Jean-Sébastien Bach a donc connu quelques rares instruments accordés selon le partage pythagoricien, beaucoup d'instruments mésotoniques avec souvent leurs versions modifiées et, bien sûr, il a été à l'avant-garde de tous les tempéraments " agréables " (Wohltemperiertes Klavier).
QUELS SONT LES INSTRUMENTS QU'IL A CONNU? Il a pratiquement eu des contacts avec tous les instruments de l'Allemagne, de l'Italie du Nord et les instruments d'influence Française réalisés en Allemagne du Sud. Et l'on peut dire qu'il a eu une parfaite connaissance des instruments d'Allemagne du Sud, du Centre et du Nord. A ce stade, je souhaite m'arrêter sur un point qui m'apparaît fondamental. Une grande différence entre le Nord et le Sud réside dans le fait que le clavier de pédale est considéré comme un plan sonore indépendant voir même concertant alors que dans le Sud, ce clavier se limite souvent au strict minimum concernant les tuyaux de fond. Gottfried Silbermann et ses contemporains ont eu très souvent recours à la transmission des jeux manuels à la pédale et à la tirasse, ce qui n'a pas été pratiqué couramment dans le Nord, où l'on a réservé à la pédale la primeur dans le concept de l'orgue. Ceci pose le problème suivant : Imaginons un principal de 8', manuel qui suit une certaine progression harmonique bien définie dans l'aigu. En clair, cela veut dire qu'à partir du c', l'alto et le soprano évoluent rapidement en puissance (volume sonore). Si on utilise ce jeu dans le cadre d'une littérature strictement manuelle et qu'on exécute la basse harmonique à l'aide d'une transmission de ce jeu à la pédale, nous avons des conditions normales pour l'interprétation de ces pièces. Si, par contre, nous utilisons cette combinaison dans une pièce où la basse (pédale) devient concertante ou mélodique, nous nous heurtons à un problème de compréhension de cette basse. Ceci est valable pour la majeure partie des orgues de l'Allemagne Centrale et du Sud. Par contre, au Nord, où le plan sonore de la pédale est considéré comme tel, le jeu de pédale devient plus volumineux dans sa progression dans l'aigu du pédalier. Cela revient à dire que si l'on superpose l'évolution harmonique des jeux manuels général sur ceux des pédales en général, le soprano de la pédale se trouvera réhaussé et plus distinct vers l'alto et le ténor du manuel. Dans ce cas, il est possible à la construction d'un instrument de développer et de distinguer mélodiquement l'évolution entre la pédale et le manuel (voir dessin ci-dessous). UNE AUTRE DIFFERENCE Si nous continuons à creuser le problème de la basse, en prenant l'emplacement des pédales au Nord et au Sud, on s'aperçoit qu'il y a une nouvelle matière à étude. Par exemple, dans le Sud, les sommiers de pédale se trouvent très souvent dans la deuxième partie arrière du buffet. On constate également que dans la composition des registres, on trouve rarement de mixture, de 2'... Nous savons que les fréquences graves ne sont pas directionnelles car la longueur d'onde et trop grande pour pouvoir en localiser la source. De plus, l'absence de jeux aigu à la pédale dans les instruments moyens nous permet d'entrevoir un rôle très différent dans sa destination et son utilisation. Au Nord, nous avons l'inverse, la pédale considérée comme plan sonore à part entière est pratiquement toujours située en façade apparente. Pour des raisons d'intégration et de place, elle est partagée en deux et située de part et d'autre des claviers manuels, donc directement visible du public et de l'auditeur. La composition de ces plans sonores comprend des jeux aigus et très colorés qui permettent par leur présence de se mettre en "concurrence" et en concert avec les jeux manuels. La présence de ces jeux aigus dans les buffets dégagés de tous obstacles permet une localisation instantanée par l'oreille. Cette situation joue un rôle capital quant à la mobilité et à l'articulation d'un cantus-firmus. Nous avons là la preuve d'une grande différence de perception dans les cantus-firmi au Nord et au Sud de l'Allemagne. A cet effet, il convient d'ajouter une différence fondamentale entre ces deux régions de l'Allemagne que l'on peut étendre à l'Europe en général. Au Nord d'une ligne théorique passant par Anvers, Bruxelles, Cologne, Frankfort, Passau, Vienne, les provinces sont très protestantes et réformées. Dans les cultes, le rôle de cette ligne fictive, le Culte catholique romain utilise l'orgue d'une manière totalement opposée. On ne conduit pas le chant de la foule mais on accompagne discrètement certaines parties des offices que l'on agrémente de pièces musicales dans les moments précis de la liturgie. Dans un cas, le symbolisme est dans la forme et dans l'autre cas, il est dans le fond. Bach a parfaitement connu ces deux types d'instruments et, s'il est resté quatre mois dans le Nord, au lieu de quatre semaines, c'est bien sûr la preuve qu'il n'a pas été indifférent au concept de ces orgues et peut-être à d'autre chose encore Il l'a d'ailleurs admirablement démontré par l'écriture de pièces en forme de "Stylus fantasticus " dont la pratique était fort répandue dans les provinces Hanséatiques. Il serait trop long d'exposer dans ce texte d'autres différences de ce type. Elles ont trait à la forme des buffets, aux variations paramétriques des tuyaux, à la disposition et à l'alimentation de ceux-ci..., car ce thème pourrait alimenter une vie de recherches. Néanmoins, j'en arrive à la conclusion suivante Des instruments principalement à usage liturgique issus de générations successives, accordés dans des tempéraments très différents et conçus souvent de manière extrême entre eux, ont été vus et touchés par Bach. A chacun de ces moments, la sensibilité de cet homme a certainement été sollicitée, preuve en est, la diversité de l'œuvre qu'il nous a laissée, preuve en est également certaines pièces de clavecin qui furent écrites pour le partage mésotonique alors que tout le " Wohltemperiertes Klavier "cherche à être agréable et nouveau à l'oreille en sortant des tonalités traditionnelles. Preuve en est, qu'une partie de son œuvre d'orgue n'est pas en relation idéale avec les instruments qui l'entouraient. Sa musique représente une inépuisable source d'expression, d'impression, de contact, de communication pour les musiciens, les hommes et pour nous constructeurs, il nous propose un intarissable sujet pour accomplir notre mission. Marc Garnier |
||
|
|
|