A
partir du milieu du XVe siècle, tandis que de grands Blockwerk
continuent à être construits pour les très grands
vaisseaux et que les petits orgues princiers à Ripieno conquièrent
le Midi au sud de la Seine, une troisième manière de traiter
le Plenum apparaît et se répand dans le nord de l'Europe.
Elle résulte d'abord d'une idée mécanique: la division
du sommier en deux layes. Chacune est commandée par un clavier
distinct, l'un pour les Principaux, l'autre pour la Fourniture
(Halberstadt 1361).D'où trois plans sonores ou Voix:
1) Principal,
2) Fourniture,
3) Plenum (1 + 2).
Une solution plus simple permettait deux voix: une soupape générale
obturant à volonté l'admission de l'air dans la laye de
la Fourniture. D'où des Principaux fixes et le Plenum en ouvrant
cette soupape (Sperrventil - ce qui signifie, en
allemand, "barrage du vent").
La diffusion fut rapide en Allemagne et bien au-delà: en
Provence, en Catalogne, aux Franciscains de Barcelone,
à Perpignan, ...
Pendant ce temps, l'orgue Allemand cherchait de la diversité dans
des mélanges moins complexes, par division de la Fourniture.
On ne pouvait multiplier les layes sans multiplier les ressorts
de note et rendre le toucher impossible. Une seule soupape centrale alimente
alors directement les Principaux 8' et 4'; des glissières
permettant d'interrompre à volonté le passage de l'air vers
les deux extrémités de la gravure où sont placés,
en avant le Principal 16', en arrière la Fourniture;
d'où, pour une seule soupape, quatre voix:
1) Principaux 8', 4',
2) Principaux 16', 8', 4',
3) Petit Plenum (sans 16'),
4) Grand Plenum. Ce
n'était assurément qu'un pas vers des solutions plus souples
qui arriveront plus tard: la glissière à trous (registres
traînants) ou le sommier à ressorts (Springlade).
Mais avant, le Plenum avait subi une évolution interne importante: Le sommier est divisé en trois parties.
Le Principal 8' est en façade (du Fa 12') doublé
d'un 4' dans la première octave, d'un et de deux 8' ensuite.
En arrière (Hintersatz) la Fourniture fondée
sur le 2e Principal (4')est placée en bout; mais
le plan de cette Fourniture comporte deux parties (non séparables).
la partie postérieure est parfaitement conforme au
schéma médiéval: Fondamental I à VII, Octave
II à VII, Superoctave I à II. (En allemand: Hintersatz:
"jeu en arrière").
Mais la partie antérieure est faite de trois tuyaux
par note, d'un bout à l'autre du clavier, donnant dès
la basse des harmoniques plus élevées : harmonique 6 (Quinte
1' 1/3), harmonique 8 (Octave 1'), harmonique 12 (Quinte 2/3').
Ces trois rangs commencent
par monter régulièrement. Dès que le plus aigu arrive
à 1/3', il reprend à l'octave inférieure (1'1/3)
et double ainsi le rang grave.
Le deuxième rang, arrivé à 1/4' (plafond progressif),
reprend à son tour en 2'.
Puis les deux 1' 1/3 reprennent à nouveau en 2' 2/3, l'Octave encore
(4') et tout en haut encore les Quintes (5' 1/3).
Sur
le document original d'Henri-Arnaut de Zwolle (enfin ... d'une
troisième main, mais figurant dans le manuscrit et datant de la
même époque):--->
C'est là le premier exemple certain d'une Fourniture à
reprises d'octaves occupant la partie aiguë (Scharf) d'une
Fourniture plus conséquente.
Tout
l'avenir du jeu dit "Fourniture" apparaît
là, avant même de pouvoir être isolée au sein
du Plenum.
Autre particularité
plus étonnante dans cet orgue d'Arnaut: entre les Principaux
et la Fourniture, donc forcément séparables des uns et de
l'autre par un procédé - peut-être soupape de laye
ou glissière - se trouvent pour chaque note trois tuyaux suraigus
donnant l'accord parfait majeur ou ses renversements (sur Ut 1: 1/2',
2/5', 1/3'). Soit: une octave, sa tierce majeure et sa quinte.
Cet accord est maintenu à la même hauteur absolue, quelle
que soit l'octave au clavier, par reprise de chaque rang quand il atteint
le plafond situé au 1/4' pour les quintes et octaves, au 1/5' pour
la tierce. D'où
des compositions successives avec alternance d'accords parfaits majeurs
et du premier renversement quarte et sixte (sur le graphique, à
gauche).
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Un tel plan n'a rien à voir avec le Plenum médiéval
dont la Fourniture à reprises était au contraire un développement
logique.
Le nom de Cymbale porté ensuite par cette mixture donne
la clef de l'origine de ce jeu qui sera d'abord la première des
mutations de sonorité, avant de s'incorporer au Plenum. C'est l'adjonction
de cet instrument étranger, le Cymbalum, ou carillon de
clochettes, par incorporation de sa synthèse approximative au moyen
de tuyaux aigus en accords pythagoriciens (parfaits majeurs).
Désormais l'organiste dispose non plus de trois voix mais de quatre
à six:
1) Principaux,
2) Principaux + Cymbale,
3) Principaux + Fourniture,
4) Principaux + Fourniture + Cymbale ou grand Plenum.
Sans doute aussi:
5) Fourniture seule, et
6) Fourniture + Cymbale;
La 7e et dernière registration possible, Cymbale seule,
est acoustiquement inacceptable.
(DGW: Pour ma part, je pense que 5 et 6 n'étaient
également pas possibles dans la mesure ou les principaux étaient
à alimentation permanente, puisque c'est à partir de leur
laye que les autres layes étaient alimentées par les soupapes
d'admission).
Il est probable qu'Arnaut de Zwolle ait fait là la description
de l'orgue médiéval de la Cathédrale de Dijon,
mais personne n'en est sûr.
Le tournant du XVe siècle
ayant apporté des moyens plus pratiques et moins vite limités
de subdiviser la tuyauterie en rangs (sommiers à registres ou à
ressorts), on sépare bientôt d'abord les deux hauteurs de
Principaux, les octaves, puis la fourniture et la
cymbale.
L'opposition avec le Ripieno apparaît nette du fait de la
conservation en groupe des rangs aigus (de fourniture à reprises
et de cymbale) sur deux registres seulement.
La Fourniture peut porter des noms très divers: Locatz
ou Location (chez Schlick),
Positie ou Mixtur aux Pays-Bas, Hintersatz en Allemagne...
En revanche, un seul nom pour la Cymbale (Zimbel).