UNE HISTOIRE DU PLEIN-JEU

 

III. ORGUES NORDIQUES

L'orgue d'Arnaut de Zwolle (1440)


Amiens-1429 (positif de 1620)A partir du milieu du XVe siècle, tandis que de grands Blockwerk continuent à être construits pour les très grands vaisseaux et que les petits orgues princiers à Ripieno conquièrent le Midi au sud de la Seine, une troisième manière de traiter le Plenum apparaît et se répand dans le nord de l'Europe.
Elle résulte d'abord d'une idée mécanique: la division du sommier en deux layes. Chacune est commandée par un clavier distinct, l'un pour les Principaux, l'autre pour la Fourniture (Halberstadt 1361).D'où trois plans sonores ou Voix:
1) Principal,
2) Fourniture,
3) Plenum (1 + 2).

Une solution plus simple permettait deux voix: une soupape générale obturant à volonté l'admission de l'air dans la laye de la Fourniture. D'où des Principaux fixes et le Plenum en ouvrant cette soupape (Sperrventil - ce qui signifie, en allemand, "barrage du vent").
La diffusion fut rapide en Allemagne et bien au-delà: en Provence, en Catalogne, aux Franciscains de Barcelone, à Perpignan, ...
Pendant ce temps, l'orgue Allemand cherchait de la diversité dans des mélanges moins complexes, par division de la Fourniture. On ne pouvait multiplier les layes sans multiplier les ressorts de note et rendre le toucher impossible. Une seule soupape centrale alimente alors directement les Principaux 8' et 4'; des glissières permettant d'interrompre à volonté le passage de l'air vers les deux extrémités de la gravure où sont placés, en avant le Principal 16', en arrière la Fourniture; d'où, pour une seule soupape, quatre voix:
1) Principaux 8', 4',
2) Principaux 16', 8', 4',
3) Petit Plenum (sans 16'),
4) Grand Plenum.
Ce n'était assurément qu'un pas vers des solutions plus souples qui arriveront plus tard: la glissière à trous (registres traînants) ou le sommier à ressorts (Springlade). Mais avant, le Plenum avait subi une évolution interne importante:
Le sommier est divisé en trois parties.
Le Principal 8' est en façade (du Fa 12') doublé d'un 4' dans la première octave, d'un et de deux 8' ensuite.
En arrière (Hintersatz) la Fourniture fondée sur le 2e Principal (4')est placée en bout; mais le plan de cette Fourniture comporte deux parties (non séparables).
la partie postérieure est parfaitement conforme au schéma médiéval: Fondamental I à VII, Octave II à VII, Superoctave I à II. (En allemand: Hintersatz: "jeu en arrière").
Mais la partie antérieure est faite de trois tuyaux par note, d'un bout à l'autre du clavier, donnant dès la basse des harmoniques plus élevées : harmonique 6 (Quinte 1' 1/3), harmonique 8 (Octave 1'), harmonique 12 (Quinte 2/3').

Ces trois rangs commencent par monter régulièrement. Dès que le plus aigu arrive à 1/3', il reprend à l'octave inférieure (1'1/3) et double ainsi le rang grave.
Le deuxième rang, arrivé à 1/4' (plafond progressif), reprend à son tour en 2'.
Puis les deux 1' 1/3 reprennent à nouveau en 2' 2/3, l'Octave encore (4') et tout en haut encore les Quintes (5' 1/3).

Sur le document original d'Henri-Arnaut de Zwolle (enfin ... d'une troisième main, mais figurant dans le manuscrit et datant de la même époque):--->



C'est là le premier exemple certain d'une Fourniture à reprises d'octaves occupant la partie aiguë (Scharf) d'une Fourniture plus conséquente.

Tout l'avenir du jeu dit "Fourniture" apparaît là, avant même de pouvoir être isolée au sein du Plenum.

Autre particularité plus étonnante dans cet orgue d'Arnaut: entre les Principaux et la Fourniture, donc forcément séparables des uns et de l'autre par un procédé - peut-être soupape de laye ou glissière - se trouvent pour chaque note trois tuyaux suraigus donnant l'accord parfait majeur ou ses renversements (sur Ut 1: 1/2', 2/5', 1/3'). Soit: une octave, sa tierce majeure et sa quinte.
Cet accord est maintenu à la même hauteur absolue, quelle que soit l'octave au clavier, par reprise de chaque rang quand il atteint le plafond situé au 1/4' pour les quintes et octaves, au 1/5' pour la tierce.
D'où des compositions successives avec alternance d'accords parfaits majeurs et du premier renversement quarte et sixte (sur le graphique, à gauche).
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Un tel plan n'a rien à voir avec le Plenum médiéval dont la Fourniture à reprises était au contraire un développement logique.
Le nom de Cymbale porté ensuite par cette mixture donne la clef de l'origine de ce jeu qui sera d'abord la première des mutations de sonorité, avant de s'incorporer au Plenum. C'est l'adjonction de cet instrument étranger, le Cymbalum, ou carillon de clochettes, par incorporation de sa synthèse approximative au moyen de tuyaux aigus en accords pythagoriciens (parfaits majeurs).
Désormais l'organiste dispose non plus de trois voix mais de quatre à six:
1) Principaux,
2) Principaux + Cymbale,
3) Principaux + Fourniture,
4) Principaux + Fourniture + Cymbale ou grand Plenum.
Sans doute aussi:
5) Fourniture seule, et
6) Fourniture + Cymbale;
La 7e et dernière registration possible, Cymbale seule, est acoustiquement inacceptable.
(DGW: Pour ma part, je pense que 5 et 6 n'étaient également pas possibles dans la mesure ou les principaux étaient à alimentation permanente, puisque c'est à partir de leur laye que les autres layes étaient alimentées par les soupapes d'admission).
Il est probable qu'Arnaut de Zwolle ait fait là la description de l'orgue médiéval de la Cathédrale de Dijon, mais personne n'en est sûr.

Le tournant du XVe siècle ayant apporté des moyens plus pratiques et moins vite limités de subdiviser la tuyauterie en rangs (sommiers à registres ou à ressorts), on sépare bientôt d'abord les deux hauteurs de Principaux, les octaves, puis la fourniture et la cymbale.
L'opposition avec le Ripieno apparaît nette du fait de la conservation en groupe des rangs aigus (de fourniture à reprises et de cymbale) sur deux registres seulement.
La Fourniture peut porter des noms très divers: Locatz ou Location (chez Schlick), Positie ou Mixtur aux Pays-Bas, Hintersatz en Allemagne...
En revanche, un seul nom pour la Cymbale (Zimbel).

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