IX
- Le PLEIN-JEU en Angleterre
D'après
un article de Peter Williams
Le texte
complet de l'article, passionnante histoire de l'Orgue Anglais, peut
être consulté
ici.
En Angleterre comme ailleurs,
l'histoire des mixtures, de leur composition, de l'attitude à
leur égard des facteurs, des organistes et des auditeurs est celle
de l'orgue même. Les changements importants qui ont affecté
l'orgue anglais en 1670 et 1800 par exemple concernent profondément
ces jeux, bien qu'il n'y ait pas eu en Angleterre de changement soudain
et total comme dans d'autres pays. En face de ce qui se passait en Allemagne
peu après 1830, l'indignation du périodique The musical
World de 1836 (p. 215,) contre le nouvel orgue de Hill à
la Cathédrale d'York, considéré comme ayant
reçu des Mixtures aberrantes, est un exemple lumineux et
classique:
"Imagine, therefore,
the effect of such a proceeding! Instead of adding to the brilliancy of
the chorus organ, by putting in three or four many-ranked Cornets, Sesquialteras
and Mixtures, by subtracting the Twelfths the tone must necessarily heaume
muddy and thin - all top and bottom, no medium..."
Imaginez un peu l'effet
d'une telle manière de faire! Au lieu d'ajouter à la brillance
de l'orgue, l'addition de 3 ou 4 Cornets, Sesquialteras
et Mixtures composés et la suppression des 12e rendent la
sonorité forcément pâteuse et maigre. Tout en tête
et en queue, pas de médium !*...
Pourtant en Angleterre, l'orgue
est et a toujours été l'objet de l'attention plutôt
des amateurs et il ne fait pas de doute que ce sont les amateurs avec
leurs connaissances scientifiques confuses qui ont contribué à
maintenir pendant des siècles l'orgue anglais à son lamentable
niveau de Plenum sans pédale.
Les Mixtures ont fait tardivement leur apparition en Angleterre,
n'y sont jamais devenues surabondantes et ont toujours dû justifier
leur présence devant chaque génération de facteurs.
Il est difficile d'imaginer ailleurs qu'en Angleterre un prêtre
cultivé écrivant:
"Les Fournitures et les Cymbales ont comme les Sesquialteras,
la détestable particularité que leurs tuyaux reviennent
au point de départ à chaque octave".
Ou dans une ville d'Europe
autre que Londres un écrivain-organiste-compositeur s'écriant
que les jeux de Mutations ne sont posés "par les facteurs
que pour faire à peu de frais une série de jeux à
tirer (qui) ne font qu'encombrer l'orgue".
Pour ce qui est des influences
françaises introduites en facture par l'émigré tardif
René Harris, le même prêtre pensait que les
clients puérils (d'Harris) n'aimaient rien tant que beaucoup de
bruit même s'il est vulgaire. Ce grand bruit vulgaire était
probablement la sonorité d'un véritable Plein-Jeu.
Le goût anglais a longtemps été porté vers
tout autre chose.
- L'Orgue Anglais avant l'exil de Robert Dallam.
Personne ne sait à
quoi ressemblait l'orgue anglais au XVe siècle, ni non plus s'il
prenait pour modèle ou pour inspiration l'orgue flamand ou italien.
Les autres arts comparables de ce temps suggèrent que l'un et l'autre
étaient possibles.
L'orgue de la fin du Xe siècle à Winchester était
sans doute aucun un Blockwerk dont le but comme tel était
la portée sonore; le fameux poème contemporain atteste sa
puissance, bien qu'à d'autres égards la description ne nous
dise en réalité rien de plus que ne fait Pretorius
au sujet des plus anciens orgues d'Erfurt, de Magdebourg
ou même de Halberstadt.
On connaît l'existence
de beaucoup de petits instruments du XVe siècle; ils devaient être
de ces Positifs qu'on peut dire à juste titre de type international
et dans des cas d'espèce il est parfois certain que l'orgue a été
importé.
Le terme de Principal est pris dans un sens particulier: c'est
soit le sens brabançon (Blockwerk ou Plenum fait
de la Montre, son octave, sa fourniture) soit le sens italien
(Ripieno à rangs complètement ou presque complètement
séparables):
... and the pryncipale to conteyn the length of V foote so following
with Bassys called Diapason to the same, conteyning length of X foot or
more; and to be dowble pryncipalls throweout the said instrument... with
as fewe stops as may be convenient.
Double Principal doit
signifier plus que les seuls deux jeux de 4' et désigner certainement
l'ensemble des fonds; les Basses appelées Diapason
de même signifient-elles un rang complet de 8' ajouté à
un Blockwerk de 4', comme on l'a proposé récemment,
ou une série de Trompes.
ThomasDallam a fait un orgue à deux claviers pour la Cathédrale
de Worcester en 1613, le premier orgue anglais à deux claviers
dont on connaisse la composition et le premier avec une Quinte 2' 2/3.
Un autre orgue de Dallam pour la chapelle du collège d'Eton,
(1613):
G.O. : II Principaux 8', II Octaves, 12e,
II 15e, Recorder (bouché). Choir O.: Principal (bois, bouché ?), Octave,
15e, 22e, Flûte (bois).
La doublure est sûre
: beaucoup d'orgues anglais de cette période
ancienne étaient placés sur le jubé séparant
la nef du chur et avaient ainsi deux façades, d'où
deux séries de Montres. Le jeu à deux claviers
devenait la passion des meilleurs organistes et compositeurs anglais et
il y aurait beaucoup à dire au sujet des Doubles Voluntaries
de cette période.
L'absence de Mixtures
et de Mutations est voulue. Il est évident par la composition
de Robert Dallam à Lesneven en 1654 qu'avec de la
chance - et c'en était une d'émigrer en France - un facteur
anglais traditionnel pouvait construire aussi des Cornets, Nasards,
Tierces, Larigots, Fournitures et Cymbales
aussi bien que de faire une soigneuse différence entre une Doublette
et une quarte de Nasard.
Dans les grandes églises,
il y avait plusieurs orgues, même après la crise iconoclaste,
et ces orgues avaient des rôles différents.
L'un d'eux servait aux usages courants (probablement un orgue mobile),
un second suspendu au mur Nord du chur était une paire d'orgues
bien grands appelés the Cryers, un troisième construit
sur le jubé au-dessus de la porte du chur avait tous ses
tuyaux faits du meilleur bois.
Nous avons donc là deux grands-orgues fixes de composition et d'usage
différents: le plus grand pour les fêtes où chantent
les chanoines, et si Cryers a un sens, il était assez strident
(peut-être encore un Blockwerk); le petit un organo de
legno pour accompagner les choristes, placé près d'eux
et d'un son plus discret. Les mots même organo de legno permettent
de rattacher ces orgues et leur usage à ceux des églises
de l'Italie du Nord.
Des tentatives pour renouveler
le plan des orgues avaient déjà été faites
antérieurement: Robert Dallam lui-même avait suggéré
au Corps des Gouverneurs de New College à Oxford qu'un orgue
de 16', à la française, avec deux claviers et 32 jeux conviendrait
bien au service du choeur.
Cet orgue n'a pas été réalisé; Dallam
semble avoir fait en 1663 un orgue plus conventionnel, d'une grande étendue
(Fa 0 à Fa 5: 60 notes sans premier fa dièse) peut-être
avec une hauteur d'accord de base archaïque, puisque René
Harris en 1714 a dû le baisser de Gamut D sol ré
en Gamut propre (de ré à ut : un ton).
Entre Dallam et Harris, c'est-à-dire de 1660 à1680
environ, Bernard Smith a eu une influence certaine, introduisant
des éléments étrangers, d'une origine toute différente
de ceux de Dallam ou Harris de formation française.
L'essentiel de l'évolution porte sur les fonds du Grand-Orgue
et les plans secondaires de type Echo ou Récit expressif.
Bien que les origines, le style, la carrière de Smith soient
aujourd'hui encore assez mal connus, un aperçu peut être
tiré de l'un de ses premiers (sinon la premier) orgues de Londres:
celui de la chapelle royale de Whitehall, construit entre 1662
et 1672. Les 3 claviers ont une composition qui nous montre le type devenu
normal pour alors un siècle et demi et qui, en tous cas, devait
paraître très avancé au temps de sa construction:
G. O. : Principal, 2e Principal,
Octave, 2e Octave, 12e, 15e, deuxième 15e, Sesquialtera III, Cornet
III, Trompette.
Choir : Principal, Octave, 2e Octave, Voix humaine, Cromorne.
Echo (du Sol) : Principal, Octave, Cornet II, Trompette.
Si comme il est vraisemblable,
le Cornet II était une Sesquialtera 2'2/3, 1'3/5,
le petit sommier n'aurait été en rien différent de
bien des Brustwerks de la Frise contemporaine ou d'ailleurs. Dans
ce cas également, il est possible que la Sesquialtera III
du Grand-Orgue ne fût pas une Mixture à Tierce comme
sur le continent, mais une Mixture de Plenum particulière
comme la Mixtur of Mettle du même Smith au Grand-Orgue
du Temple (1688).
Selon Hopkins, les deux
principales mixtures de Smith étaient ainsi composées:
Sesquialtera :
ut 1 : 1'3/5, 1'1/3, 1'.
ut 3 : 2', 1'3/5, 1'1/3.
ut 4 : 2'2/3, 2', 1'3/5.
fa 4: 4', 2'2/3, 2'.
Mixture:
ut 1 : 1', 2/3', 1/2'.
ut 2: 1'1/3, 1'.
ut 3: 2'2/3, 2'.
La Sesquialtera comporte
une Tierce sur toute l'étendue, sauf la derniere quinte
du clavier. Le rang de Tierce reprend en 4'. Sur la première
octave, un 3e rang de Mixture de 1' bouche un trou si on ne se
sert pas de la Sesquialtera. Nous avons une fourniture classique
Française, mais décalée d'une quinte sur Ut 2, ce
qui en fait dans la deuxième moitié du clavier une fourniture
ascendante.
Celles
de l'école de Harris ont tout autant de reprises; St.
Peter Mancroft, Norwich:
Sesquialtera
ut 1:1'1/3, 1', 2/3'.
ut 2: 2'2/3, 2', 1'1/3.
ut 3: 4', 2'2/3, 2'.
ut 4: 8', 5'1/3, 4'.
Mixture
ut 1: 1/2', 1/3'.
ut 2: 1', 2/3'.
ut 3: 1'1/3, 1'.
ut 4: 2', 1'1/3.
Furniture
ut 1: 1', 2/3', 1/2'.
fa 1: 2', 1'1/3, 1'.
fa 2: 4', 2'2/3, 2'.
fa 3: 8', 4', 2'2/3.
La Sesquialtera ne comporte
pas de Tierce. Sesquialtera et Mixture forment une
Fourniture V à reprises d'octave sur les ut; la résultante
de 16' est retardée d'une octave par un saut de la Sesquialtera
à la quinte en ut 2 au lieu d'un saut d'octave en Fa 3. La dernière
octave de la Furniture saute le rang 5'1/3 afin de ne pas interrompre
le 2'2/3. La Fourniture est réelle (française: III
- 2'), avec ravalement à ut 1 à l'octave.
On ne peut pas affirmer avec
certitude que les Sesquialteras d'aussitôt après la
Restauration avaient un rang de Tierce, bien que ce soit normalement
le cas pour la période qui a suivi l'arrivée de Snetzler,
et l'introduction de conceptions harmoniques apprises dans la zone du
Haut-Danube. Les mixtures de Snetzler n'ont aucun des caractères
qui font les bonnes mixtures de Plein-Jeu, ni les couleurs
utilisables dans un Tutti. Pieds fermés, bouches basses avec une
tailIle de Principal étroit. Tierce incorporée à
une Cymbale III 2' ascendante (2 reprises seulement).
tout cela ne vaut pas grand-chose!
Ces Mixtures auraient été pratiquement inutilisables
pour la musique d'orgue du XVIIe siècle, chez Blow ou Purcell
et autres; elle exige une Sesquialtera, demi-jeu pour la main gauche,
basse (il a dû vouloir dire main droite?) répondant
au-dessus de Cornet.
Il semble donc bien que c'était
la Tierce, qui fut la première mutation ou le premier rang
de mixture à disparaître dans l'orgue anglais classique
du début du XIXe siècle. Contrairement à Harris,
si l'orgue ne devait avoir qu'un rang de mutation, Smith semble
avoir préféré poser un Larigot.
Bien qu'actuellement on ne
connaisse guère la contribution exacte de Smith à
ce type d'orgue qui devait rester le même de 1680 à 1800,
ni les origines précises du Plenum à Tierces de Harris,
certains faits sont évidents. Le premier est que les Mixtures
de Harris ont été rapidement acceptées comme
règle: le first English Organ Treatise (premier traité
sur l'orgue anglais) de James Talbot, compilation de la fin du
XVIIe siècle, non seulement suit étroitement Mersenne
pour son information théorique mais dépend de Harris
pour la pratique. L'information de Talbot pour les Mixtures peut
se résumer comme suit:
Sesquialter:
soit un demi-jeu de basses à III rangs ou un jeu complet de mixture
V, dans les orgues de Harris (Mr Harris allows V).
Cornet: d'ordinaire
V rangs, demi-jeu de dessus. Les corps des tuyaux sont de grosse taille
pour que le son soit vigoureux mais tous ne sont pas également
poussés); ceci vise le 3e et le 5e rang. Stop'd Diapason with
a Tail (Flûte à cheminée), Open Principal
4' (Prestant), Open Twelfth (Nasard), Open fifteenth
(Quarte), Small Open Tierce (Tierce).
Furniture: III
à VII rangs
à V on peut avoir:
Ut 1 : 2', 1'3/5, 1'I/3, 1', 2/3'.
ut 3 : 2'2/3, 2',1'3/5, 1'1/3, 1'.
et dans les orgues de
16' elle peut être de V, de IV dans ceux de 8', de III dans ceux
de 4'.
Une Soft Furniture a: 2', 1'1/3, 1'. La Furniture peut reprendre
sur tous les Fa.
Cymbal: Mixture
de II ou III rangs, little used. Cymbal à
II: 1', 2/3' for two Octaves and then repeated to the top:
ut 1: 1', 2/3';
ut 3 : 2', 1'1/3;
ut 4 : 4', 2'2/3 (?).
En
remarque générale Talbot ajoute: "Les jeux suivants
sont appelés Mixtures, résultant de l'addition de
plusieurs jeux déjà nommés. Cette addition est arbitraire,
laissée au jugement de l'artiste et les instructions qu'il a reçu
de faire un instrument plus ou moins fort, ce qui dépend du nombre
plus ou moins grand des rangs dans chacun de ces jeux. Je poserai seulement
ce principe que dans ces jeux le 3e et le 5e rang ne doivent pas être
poussés comme les autres. Tous sont en étoffe".
Ces notations sont suivies
de deux remarques intéressantes: "Quelles
sont les meilleures Mixtures et où doivent commencer les
reprises? Les Mixtures sont-elles à placer au G.O. ou au
Positif et sur un sommier distinct?"
En 1840, les influences étrangères étaient si fortes,
les organistes avaient tant voyagé, les facteurs étaient
si volontiers dans le vent, avec la résurrection de Bach
et les théories propagées par Seidel et consorts,
qu'il serait difficile de découvrir une national policy,
un type national de conception du Plenum.
L'originalité, les goûts personnels étaient plutôt
dirigés du côté des anches en particulier, de la Pédale
en général. La controverse pour ou contre des Mixtures
convenables avec ou sans Tierce était close depuis plus
d'un siècle.
C'est certainement en partie la faute aux lamentables mixtures à
Tierce de Snetzler et ses imitateurs ou épigones, si
on a cessé peu à peu de s'intéresser à l'orgue
ancien."
Entre autres choses l'organiste
anglais avait constamment à défendre son instrument contre
les attaques des gens d'église, des puritains, des marguilliers
chiches et tutti quanti. Il est difficile de cerner précisément
pourquoi l'orgue anglais est resté petit et comme nain jusqu'au
XIXe siècle, mais le puritanisme y doit avoir au moins une grande
part : en 1800 le rejet des Cornets, par exemple n'a pas été
dû à l'idée qu'il valait mieux les remplacer par d'autres
jeux solistes à grande portée, ou à ce que les organistes
étaient las de leur timbre, ou que les bons exemplaires ne couraient
pas les rues, ou qu'ils étaient difficiles à harmoniser
et que la pièce gravée était peu commode à
faire ou à conserver, non, l'objection a été, selon
le mot de Francis Linley, que le Cornet était: of
too light and trivial a nature to suit the solemnity of public worship
(d'une nature trop légère et triviale pour convenir à
la solennité d'un culte public)!