UNE HISTOIRE DU PLEIN-JEU


VII. F.H. CLICQUOT ET LES PLEINS-JEUX

Le goût de renforcer le Grand-Jeu du Positif au moyen d'une Trompette (à partir de 1724) puis d'une batterie d'anches complète, a conduit les facteurs français du XVIIIe siècle à leur faire de la place dans ce buffet restreint par définition, en éliminant les jeux passés de mode ou en concentrant les autres dans le moins d'espace possible.
C'est ce qui est arrivé au Plein-Jeu du positif.
Depuis longtemps la séparation en Fourniture et en Cymbale n'avait plus de sens dans la registration et les deux jeux étaient toujours employés ensemble; d'où la tentation bien légitime de les concentrer sur une chape unique ou deux chapes jumelées et un seul registre dit de Plein-Jeu.

Paris - St Roch 1752Déjà Robert Clicquot avait agi ainsi dans le Positif intérieur de l'orgue de la Chapelle du Château de Versailles (1710), son fils Louis-Alexandre à Houdan (1734) et F. Thierry pour loger dans le petit buffet 1610 à Notre-Dame de Paris un Plein-Jeu VII (1730).
Puis le système s'étend aux buffets neufs : Saint- Roch à Paris (Lescloppe, 1750 : Plein-Jeu VI), Saint-Gervais (F-H. Clicquot, 1768) ...

Or dans de tels Pleins-Jeux, même de V rangs, il y a dans le plan classique (surtout celui à Fourniture basse de Dom Bedos adopté depuis le début du siècle) au moins une doublure.
Acceptable sur deux registres différents, elle fait scandale sur un seul.
Il est donc possible et convenable de supprimer la doublure en diminuant d'un rang, sans grande perte sonore, ou mieux en recomposant le Plein-Jeu, c'est-à-dire en cymbalisant peu ou prou.
On n'a pas la preuve que les Pleins-Jeux V de Positif sur un seul registre (St-Médard, St-Gervais à Paris, 1764) aient été déjà cymbalisés mais l'idée était dans l'air même au G.O., et Dom Bedos note des Pleins-Jeux aberrants à ses yeux: Cymbale à 3 reprises (Ebersmunster ?), Fourniture à 4 reprises (basses relevées d'une Quinte pour faire de la place), sauts sur les Sol, et pour éviter trop de doublures, diminution d'un rang dans l'extrême aigu.

Au grand clavier une autre tendance pousse à la concentration des Pleins-Jeux : le goût de plus en plus prononcé pour un chœur fourni de Fonds de 8'. Quelle qu'en soit l'origine (indigène ou plutôt allemande du Sud) c'est un fait.
Après des apparitions de hasard comme en 1683 à St-Laurent de Paris où il tient la place d'une Montre; à Notre-Dame de Paris (1730) où c'est celle d'une Ouinzième du 32', le Troisième 8' appelé Flûte se répand par la Normandie à partir de 1730 (Rouen, Saint- Nicolas, 1731) ; Dieppe, Saint-Rémi, 1737; Caudebec, 1738...). Il devient alors de règle et Dom Bedos l'estime nécessaire dans tout orgue de 16'. C'est qu'à l'époque les registrations de Flûtes (Fonds 8) sont devenues plus utiles que celles de Plein-Jeu. Mais il faut attendre après la Révolution pour voir Dallery et bien d'autres penser des orgues sans Plenum (cf. St-Gervais en 1812, St Nicolas-des-Champs, ...), ou à Plein-Jeu réduit sur un seul clavier.

Après 1760, la distinction entre Fourniture et Cymbale disparaît devant le terme de Plein-Jeu avec l'énoncé du nombre de rangs; il est souvent indiqué que le tirant est unique, sinon le registre. Ceci recouvre en fait une situation nouvelle qui est l'extension de la cymbalisation. Nous avons vu déjà plusieurs raisons qui poussaient les facteurs dans cette direction.

Le grand Plein-Jeu (1772/5) du très original Frère Isnard à St -Maximin a un nombre de rangs bien classique : Fourniture II + IV, Cymbale IV, mais pas les hauteurs de base qui devraient être 2' et 2/3'.
On a en effet 2 2/3' et 1'. Cela signale déjà clairement la rupture avec le plan : la Cymbale plus grave au départ se développe d'abord avec un plafond au 1/6; grâce à l'octave ut 2-ut 3 sans reprise, on monte ensuite au 1/8: Cymbale non horizontale à deux plafonds.
Les Fournitures, de leur côté, sont entièrement cymbalisées, reprenant de Quinte en Quarte sur les ut (2, 3 et 4) et un seul Fa (Fa 4).
Le rang grave de la Fourniture IV n'en résulte pas moins en 16' et celui de la Fourniture II en 32'.
Ainsi peut-on décrire le grand Plein-Jeu de St-Maximin comme fait d'une Cymbale ascendante IV doublée d'une Cymbale IV placée une Quinte plus bas. A quoi peuvent s'ajouter deux rangs graves de Cymbale complémentaires : de quoi doser trois niveaux de Plenum sans véritable Fourniture.

Ecouter ? (815 Ko) F. Couperin, Couvents, Plein-Jeu du Kyrie.

Le Plein-Jeu du Positif, certainement très retaillé (avant la dernière restauration), présente un plan mixte.
Fourniture III au 1'1/3 avec recoupe entière au Fa 2, puis Fourniture Saxonne sur les Fa 3 et Fa 4.
La Cymbale III, au 1/2', devait respecter le plafond au 1/8', et c'est ce plan que nous proposons sur le graphique ci-joint.
(DGW: J'ignore si c'est celui adopté lors de la dernière restauration. Cette reconstitution n'est donc que purement intellectuelle!).

 

Les Pleins-Jeux de Clicquot postérieurs à 1772 sur lesquels nous ayons quelques documents ne sont eux non plus pas conformes au plan Dom Bedos, mais cymbalisés.

A St-Sulpice, le Positif (de 16') peut paraître classique par sa nomenclature :
Fourniture IV 1 1/3', Cymbale V 2/3' (avec reprise au Fa 1 ce qui équivaut au 1' classique sans cette reprise).
Le G.O. par contre ne peut s'expliquer classiquement:
Fourniture IV (?); Fourniture VI 1'1/3; Cymbale IV 1'. Cette dernière est trop basse d'une Quinte (plafond au 1/6') d'autant que si la Fourniture VI était classique, elle serait parisienne et dépasserait la Cymbale (au 1/8'). C'est donc que la Cymbale saute une reprise quelque part, qu'elle est à deux plafonds. Dès lors il est improbable que la Fourniture VI ne reprenne pas dès l'ut 2 et de Quinte en Quarte, ne soit pas cymbalisée. Pour la Fourniture IV grave dont on ignore la hauteur de base, une structure classique l'incorporerait mal dans un tel ensemble.

Poitiers 1791Or, un nouveau plan proche de celui du G.O. d'Isnard nous est attesté par la seule œuvre de Clicquot conservée exactement à la Cathédrale de Poitiers.
Au Positif la Cymbale est classique (avec première reprise au Fa 1) mais la Fourniture est bien cymbalisée dès ut 2.
L'octave typique Fa 3-Fa 4 reste sans reprise si bien que le premier rang fait un saut d'octave en Fa 4 pour éviter la résultante de 16' qui semble ainsi toujours proscrite aux Positifs de 8'.
Au G.O. la recherche paraît subtile: Plein-Jeu IX à 1'1/3 dont 3 doublures (2/3', 1/2', et 1/3') .La Fourniture est cymbalisée dès la basse mais monte sans reprise de Ut 2 à Ut 3.
la Cymbale est à deux plafonds qui passe ainsi de 1/6' à 1/8' grâce à l'octave sol 2 - sol 3 sans reprise.

Jean Boyer - Nicolas de Grigny - Veni Creator écouter ? (1,6 Mo) 1er verset du Veni Creator de N. de Grigny.

Un tel plan s'applique parfaitement à ce que nous savons des Pleins-Jeux de St-Sulpice qui au contraire, nous l'avons vu, ne pouvaient s'expliquer classiquement.
Par sa date (1782) le Plein-Jeu de Souvigny se situe entre les deux précédents. les Pleins-Jeux de Souvigny témoignent eux aussi de la pratique cymbalisante de F.-H. Clicquot à la fin de sa vie.

Sans être des preuves formelles, ces exemples trop peu nombreux mais confirmés par l'évolution postérieure (début du XIXe), suffisent à nous conduire à cette conclusion que dès 1770 le Plenum classique fait de Fourniture et Cymbale de type différent mais horizontales l'une et l'autre, et codifié par Dom Bedos est battu en brèche et cède la place à un Plenum fait de Cymbales ascendantes avec minimum de doublures et quelques plages sans reprises dans le haut médium.
Tandis que pour tout le reste l'orgue français du XVIIIe finissant reste fidèle à l'esprit de la grande génération classique, pour le Plenum, il rompt avec la tradition de plus d'un siècle. Il offre des solutions peut-être inventées sur place mais qui se rapprochent de ce qui se faisait en pays germanique.

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