Le tempérament musical de Arnold Schlick,
tel qu'il est décrit dans
"Miroir des organiers et des organistes"
au chapitre 8
en 1511.

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J'ai essayé de simplifier le texte afin d'en améliorer la compréhension.
Le texte authentique (à la traduction française près) est dans la page consacrée à l'ensemble de son traité, au chapitre 8. Voir : le traité d'Arnold Schlick

 

"Le huitième chapitre traite de l’accord des orgues et indique le moment auquel il convient de le faire, la manière dont chaque plan sonore doit être accordé dans les aigus ou dans les graves, la manière dont on y réalisera les intervalles ou les accords, à savoir l’unisson, la quinte, l’octave, la quarte, la sixte, la tierce, au moyen desquels s’effectue toute la musique vocale ou instrumentale".

Ensuite Schlick considère qu'il est inutile de s'attacher à la perfection des intervalles de quinte et de tierce puisqu'on ne peux les avoir dans leur totalité bien que ce soit ainsi qu'ils sonnent le mieux. Si les quintes sont justes, les tierces sont "trop hautes, épouvantables et dures". C'est là l'illustration de l'abandon du système pythagoricien.
Il précise également que si on ne compose que des tierces justes, "
les quintes seront alors trop hautes".
Il met ensuite en évidence qu'une suite de 3 tierces pures ne donnent pas une octave pure, de même que si l'on réalise une quinte pure suivie d'une quarte pure.
Il en conclue : "
comme les intervalles sont bons lorsque chacun est pris pour soi, et ne peuvent s'accorder les uns les autres ou se supporter mutuellement, il faut donc les amputer chacun et les réunir afin que l’un contribue à supporter l’autre ... de sorte que l’on puisse les utiliser les uns avec les autres et que les dissonances, celles que les organiers appellent le loup, soient autant que possible réparties et disposées là où elles causeront le moins de désagrément".

Il s'oppose aux feintes brisées: "on a construit un jeu qui possède des demi-tons doubles (doppel Demitonien) aux claviers et au pédalier. La cause en fut que les demi-tons habituels étaient soit trop hauts, soit trop bas; les autres, ceux que l’on appelait semi demi-tons (halb Semitonien) ou encore ignoten, devaient remédier à cela à l’aide de leurs tuyaux et de leurs chœurs exceptionnels; mais ce fut en vain, ils étaient inutilisables".

Suit la "recette" :

Commencer sur le fa, prendre sa quinte ascendante ut qui doit être abaissée "autant que l’oreille pourra le tolérer ... il faut que l’on entende que cela sonne de manière instable avec des tremblements, que les chœurs des quintes en question ... résistent et tendent, tant bien que mal, à se fondre l’un dans l’autre".
" Lorsque l'ut est accordé, accorde alors sa quinte ascendante sol de la même manière et de même la quinte au-dessus à savoir ".

On a ainsi 4 notes et 3 quintes, mais il recommande, afin de ne pas monter trop haut, de redescendre d'une octave en accordant le inférieur.

"Ensuite la quinte ascendante de ce re, à savoir la, et laisse-la flotter aussi bas que possible". Ensuite le mi de la même manière, redescendre au mi inférieur puis accorder le si bécarre qui "sera également accordée plus bas à la manière des autres quintes dont nous venons de parler".

"Lorsque les touches ou les chœurs en question sont ainsi accordés, donne alors à chacun son octave ascendante et descendante de manière à ce qu’elles soient accordées juste et bien (das sie gantz und woll jnn stehen), et tu disposeras alors de toutes les touches diatoniques (claves naturales). Mais il faut avant toutes choses que les octaves soient sonores et s’accordent parfaitement les unes avec les autres".

" Quoique les tierces majeures ne soient pas bonnes, mais qu’elles soient toutes trop hautes, il est cependant nécessaire de veiller à soigner l’accord des tierces do - mi, fa - la et sol - si, autant toutefois qu’elles se toléreront réciproquement compte tenu de leurs quintes, la raison en est qu'on les utilise beaucoup plus souvent que les autres; mais les tierces dont on vient de parler seront d’autant meilleures que les intervalles du sol# au mi et au si seront mauvais. Mais cela a moins d’importance que les tierces dont nous venons de parler ainsi que nous ajouterons plus loin au sujet du sol#".

"Voyons à présent ce qu’il en est des demi-tons, des bémols ou des feintes (Semitonien oder b mollen oder Conjuncten) quelle que soit leur dénomination".

On repart du fa initial. "Prend sa quinte inférieure en sib et accorde-le suffisamment haut vers fa, de telle manière que la quinte ne soit pas juste, mais que tout en tremblant (schwebent), elle soit tirée vers le haut autant que le permettra sa tierce supérieure .
les quintes sous sib, comme le # puis le sol# s’accordent le plus haut et le mieux avec les tierces intermédiaires à savoir sol et ut, qui, autrement, sonneraient très désagréablement là où les quintes tirées vers le haut ne leur viendraient pas en aide".
Lorsque le sib est ainsi accordé, prend alors sa quinte inférieure, # ou mib; on la haussera également vers sib ainsi qu’ils été dit de la quinte précédente et donne ensuite à ce #, son octave ascendante juste.
Donne ensuite à ce même re# sa quinte descendante vers sol#; non pas trop haut, mais, à titre d’essai au moment de la vérification, plus petite que la quinte juste.

Cela profite mi et au si dans la clausule en a-la-mi-re; il n’en reste pas moins que le sol# ainsi accordé ne donne pas une tierce juste ou une sixte parfaite avec la quinte formée par le mi et le si lorsqu’on clausule en a-la-mi-re; par exemple lorsqu’on veut clausuler ou parvenir à perfection et tenir un repos, ainsi qu’on le dit communément, il faut que précède une sixte parfaite ou sixte majeure d’une quinte et d’un ton. On tolérera cependant cela plutôt ici qu’ailleurs, étant donné qu’il s’agit d’une clausule et qu’il n’est pas indispensable que le sol# du déchant soit tenu aussi longtemps que les autres sons; on pourra au contraire, dans une telle clausule dissimuler le déchant au début par une petite pause (Peusslein) ou par une diminution droite (gerader Diminutz), une petite mesure (Tectlein), un passage (Leufflein), un petit trait (Risslein), une fioriture (Floratur) selon le nom que tu voudras lui donner, afin que la dureté souvent remarquée des clausules passe inaperçue, comme sait le faire un organiste adroit ; il est impossible de faire cela dans les autres accords comme sol# - re# - ut, car on ne s'en sert pas comme d’une clausule vers ut#, mais on en dispose ailleurs et on l’exécute à l’orgue au titre d’un de ces accords de 3 ou 4 voix simultanées que donne le contrepoint.

C’est pourquoi il est nécessaire que les notes soient tempérées et accordées de sorte que l’on puisse s’en servir selon que l’exige la musique car les demi-tons n’ont pas été inventés ou faits en vain.
Mais certains sont d’un autre avis et prétendent qu’il vaut mieux ajuster le sol# au mi et au si pour clausuler en a-la-mi-re, que de l’ajuster au ut et au re#. Cela m’étonne beaucoup de leur part qu’ils affaiblissent ainsi la musique et lui ôtent sa spécificité propre, à savoir la douceur des accords justes et ceux étranges.
...
Poursuis et reprend sur si ; il s’ensuivra alors le reste des demi-tons. Ainsi donne à si sa quinte ascendante fa#, et abaisse-la légèrement afin que la tierce avec re et la ou encore que la sixte parfaite avec l’octave inférieure du la renforcée de la quinte descendante sol soient utilisables et ne soient pas trop hautes; conformément au fréquent usage de la clausule en g-sol-re-ut,tandis que l’on utilise et apprécie rarement le re dans la quinte si et fa#; accorde ensuite assez justement fa# à sa quinte supérieure ut# afin que l’on puisse l’utiliser avec la et mi, comme une clausule habituelle en d-la-sol-re. Et quoique le ut# en question soit trop bas par rapport à sa quinte supérieure sol#, cela n’a pas d’importance car on ne l’utilise pas, à moins de jouer intégralement per fictam musicam; c’est-à-dire sur toutes les touches noires, ce qui est sans nécessité; et les compositeurs n’écrivent aucun chant intégralement en notes étrangères. A moins que l’un d’eux cependant se mette, par curiosité ou par goût de l’étrange, à progresser per fictam musicam, le premier ton en b-fa-b-mi, par exemple, ou le cinquième en e-la-mi etc. .. L’organiste cependant n’est pas tenu pour autant de le jouer selon ces notes, mais pourra au contraire le transposer vers le haut ou vers le bas afin d’éviter l’usage des demi-tons qui sont les plus dissonants, a savoir ut# et sol#.

Nous avons vu dans le texte que l'orgue d'Arnold Schlick disposait d'un clavier d'une étendue de fa1 à la4 et d'un pédalier de fa1 à ut3.
Clavier et pédalier étaient transpositeurs sur + ou - 1 ton.

C'est probablement pour cette raison qu'il pratiquait un tempérament qui lui permettait d'utiliser tous les tons (modes) en évitant toutefois d'utiliser ut# et sol#.
Ces deux notes deviennent ré# et la# si on transpose d'un ton en dessous, et si et fa# si on transpose d'un ton au dessus. D'où, probablement, sa recommandation de transposer pour éviter d'utiliser la quinte ut# à sol# (ce qui devient ut - sol si on transpose d'un demi-ton au dessus).

Le principe général de l'accord est de tempérer les quintes afin que les tierces les plus utilisées qu'elles contiennent dans leur accord parfait, tant majeur que mineur pour deux d'entre elles, soient "utilisables". A savoir les tierces : fa - la (pour fa majeur), ut - mi (pour ut majeur), sol - si (pour sol majeur), ré - fa# (pour ré majeur), la - ut# (pour la majeur),sib - ré (pour sib majeur), ré# - sol (pour si majeur), fa# - la (pour fa# mineur), et ut# - mi (pour la majeur, déjà cité). 7 tierces majeures et deux mineures. Notons qu'il parle de ré# qu'il semble privilégier par rapport au mib pour privilégier l'accord de si majeur.
Schlick précise que ces tierces seront d'autant meilleures que celles de sol# -> mi (en descendant) et sol# -> si seront mauvaises.

A la fin du cycle de l'accord, il précise que l'ut# obtenu est trop bas par rapport à sa quinte ascendante sol# mais "ça n'a pas d'importance".
(Donc, une quinte trop forte est sur ut# - sol#).
La méthode est loin d'être rigoureuse et repose essentiellement sur ce qui plait à l'oreille de celui qui pratique l'accord. C'est un guide pour indiquer ce qui doit plaire en priorité en fonction des modes utilisé (tons de l'Eglise).


Donc, si on résume sa pratique de l'accord :

Quinte ascendante du fa2 à ut3 petite "autant que l'oreille pourra le tolérer"
Quinte ascendante de u
t3 à sol3 petite -id-
Quinte
ascendante de sol3 à ré4 petite -id-
Octave ré4 -> ré3
Quinte
ascendante du ré3 au la3 petite "en laissant le la flotter aussi bas que possible" - Preuve fa - la
Quinte
ascendante du la3 au mi4 petite -id- Preuve do - mi
Octave mi4 -> mi3
Quinte
ascendante du mi3 au si3 petite -id- Preuve sol - si
Octave fa2 -> fa1 - fa3
Octave ut3 -> ut2 - ut4
Octave sol3 -> sol2 - sol4
Octave ré3 -> ré2
Octave la3 -> la2 - la4
Octave mi3 -> mi2
Octave si3 -> si2

Quinte descendante fa2 à sib1 "tirée vers le haut" - preuve sib - ré
Quinte descendante si1 à ré#1 "au mieux" avec la tierce ré# - sol
Octave ré#1 -> ré#2
Quinte descendante ré#2 à sol#1 "plus petite que la quinte juste"

Quinte ascendante si2 à fa#3 "abaissé légerement afin que les tierce ré - fa# et fa# - la ou la sixte la - fa# soient utilisables"
Quinte ascendante fa#3 à ut#4 "afin que l'on puisse l'utiliser avec la et mi" (tierces ut# - mi et la - ut#)
L'ut# obtenu est trop bas par rapport à sa quinte ascendante sol# mais "ça n'a pas d'importance".
(Donc, une quinte trop forte est sur ut# - sol#).