(D'après le Bouquin de Dominique Devie
"Le Tempérament Musical", annexe 3).
Contrairement
au système de Pythagore ()qui
peut être assimilé à une gamme
de "puissances" où les intervalles sont formés
par une succession de quintes pures et que l'on peut représenter
sous la forme d'un enroulement spiralé, la gamme de Zarlino
(1558) est une gamme de "multiples" où l'on arrive très
vite à une anarchie complète qui permet, à la limite,
de tout justifier, excepté les intervalles irrationnels des systèmes
tempérés.
Une gamme de Multiples est une gamme dans
laquelle tous les sons utilisés sont des fréquences multiples
de celle du son fondamental. C'est, en quelque sorte, une définition
acoustique avant d'être une définition mathématique.
Elle contient tous les rapports d'une gamme de puissance. Par contre,
les valeurs des gammes de "racines"
(le tempéré égal) ne s'y trouvent pas puisque l'on
a à faire à des nombres irrationnels. Il ne peut y avoir
des multiples que si les nombres sont entiers.
La gamme de Zarlino est la réplique du "Diatonic Synton"
de Claude Ptolémée qui avait fourni, dans son "livre
3 des harmonies", une vingtaine de modèles de divers théoriciens.
A l'origine, la seule consonance pure était la quinte Pythagoricienne.
La pratique Grecque utilisait le "tétracorde", donc,
la quarte. (Par exemple: do-ré-mi-fa)
En juxtaposant deux tétracordes, (Par exemple: [do-ré-mi-fa]
- [sol-la-si-do]) il peut sembler que l'on constitue un système
fondé sur l'octave bien que cette dernière soit toujours
ignorée en tant que consonance. Le tétracorde est un système
de bornage que l'on remplit avec des intervalles formé à
l'intérieur d'un cycle de quintes pures référés
à l'octave qui reste un élément externe. L'octave
n'est qu'un support.
De ce fait, la quarte fut préférée à la quinte
dans les temps premiers et, jusqu'au XIe siècle, on pratiquait
des successions de quintes et de quartes parallèles. Ce n'est qu'au
XIIIe siècle qu'apparaissent des quintes et des octaves successives
et qu'apparaissent les Tierces qui sont considérées comme
imparfaites.
Au XVe siècle les chaînes de Tierces se résolvant
ou non sur un unisson deviennent un procédé d'écriture
courant. La musique passe du monodique au polyphonique, de l'horizontal
au vertical. L'évolution tend à vouloir que tout intervalle
soit une consonance. C'est aussi en ce siècle qu'apparaissent les
premières feintes brisées sur les Orgues. Elles indiquent
la présence d'un tempérament mésotonique à
tierces pures ou, au moins, "audibles".
Il faut attendre le début du XVIIe siècle pour que le concept
d'accord soit pleinement accepté en tant qu'entité résultant
d'une fusion des sons.
L'Orgue n'a certainement pas été innocent dans cette acceptation,
de par l'empilage des différentes sonorités de ses rangs
de tuyaux sonnant à l'octave, à la quinte et à la
tierce. Il a été l'instrument de la verticalité dans
la musique avant même que cette dernière ne le soit par son
harmonie.
Zarlino avait constaté que la Tierce chantée n'était
pas la tierce Pythagoricienne mais une tierce qui correspondait à
la division du monocorde en 5 parties égales. Cette même
tierce existait dans l'orgue, comme rang harmonique dans le Plein-Jeu.
Il s'est alors efforcé de bâtir une échelle à
l'aide de rapports simples et de légitimer la pratique.
Elle prit la forme de théorie de la résonance quand Joseph
Sauveur () découvrit
les harmoniques. On est passé des rapports de longueur à
ceux, inverses, des fréquences.
Zarlino s'est alors efforcé de bâtir une théorie
pour justifier l'accord parfait à l'aide de considérations
mathématiques.
Il a noté l'affinité des sons correspondant aux rapports
1, 1/2, 1/3, 1/4, 1/5, etc. dont les fréquences sont proportionnelles.
Ainsi l'accord parfait est formé par les relations du son fondamental
et du son correspondant à la quinte (3/2) et celui de la tierce
(5/4). En final, l'accord parfait majeur correspond à une progression
harmonique résultant de la division de la corde, et l'accord parfait
mineur à une progression mathématique résultant de
la multiplication des segments de corde.
La théorie repose sur la suite naturelle des harmoniques d'un son
dans laquelle on voit que les notes y apparaissent dans un désordre
déroutant :
(La suite naturelle des harmoniques se rencontre dans le
jeu d'une trompette naturelle ou celui d'une trompe de chasse).
Ut
1 Ut 2 Sol 2
Ut
3 Mi
3
Sol
3 Si bémol
3 (-)
Ut 4 Ré
4
Mi 4 Fa# 4
Sol 4
Sol# 4, en fait La (--)
Si bémol 4 (-) Si 4
Ut 5
Ré bémol 5
Ré 5 Mi bémol 5
Mi 5 Fa 5 (-)
Fa# 5
Sol bémol 5 (-)
Sol 5
La bémol 5 (-) Sol# 5 La 5 (+)
Si bémol 5 (-)
Si bémol 5 (+)
Si 5,
Si 5 (+)
Ut 6
&.
Octave 2/1
Quinte 3/2
suboctave 4/2 (2/1) - Quarte
du sol2,
4/3
Tierce majeure 5/4 - Sixte
majeure du sol2,
5/3
Quinte 6/4 (3/2) - Tierce mineure du mi3, 6/5
7/4
3e Octave 8/4 - (2/1) - Sixte mineure du Mi3
(8/5)
Ton majeur de
l'ut4, 9/8 (seconde)
Tierce majeure 10/8 - Ton mineur du
ré4, 10/9
11/8
Quinte 12/8 (3/2)
13/8
14/8 (7/4)
Septième 15/8 - sixte
du ré 4, 15/9 (5/3)
4e Octave 16/8 (2/1) - Demi-ton majeur du si4, 16/15
17/16
Ton majeur 18/16 (9/8)
19/16
Tierce 20/16 (5/4)
21/16 (C'est une fausse quarte)
22/16 (11/8)
23/16
Quinte, 24/16 (3/2)
25/16 - Demi-ton mineur du sol 5, 25/24
26/16 (13/8)
27/16
28/16 (7/4)
29/16
Septième 30/16 (15/8)
31/16
5e Octave, 32/16 (2/1) -
&.
La valeur de chaque intervalle se trouve en faisant le rapport du rang harmonique
des notes considérées.
Par exemple une quinte est égale à 3/2 puisqu'elle se trouve
entre l'harmonique 3 et l'harmonique 2.
Et ainsi de suite, la tierce = 5/4 entre l'harmonique 5 et l'harmonique
4, la seconde = 9/8e, la quarte = 4/3, ... , mais aussi la sixte, entre
les harmoniques 5 et 3, aura un rapport de 5/3 ainsi que la septième
qui est égale à 15/8e puisque cet intervalle se rencontre
entre le Si de rang 15 et l'Ut de rang 8.
Le Fa, pour une gamme commençant pas Do, est faux (21/16).
Or, pour tout le monde, le Fa est la quarte (4/3) du Do. Ceci est le résultat
de la juxtaposition de deux tétracordes. Dans le deuxième,
commençant par Sol, le Do y est pris comme quarte. Si on appelle
Do ce Sol, alors la quarte s'appellera Fa. Résultat, on change
de fondamentale.
Un peu comme ça:
[do-ré-mi-fa] - [sol-la-si-do]
[do-ré-mi-fa]
Le Fa# est en rapport de 22 à 18 avec le Ré et ne correspond
pas à la tierce pure. Le Si bémol est tout aussi faux.
Zarlino a alors bâti sa gamme par imbrication des 3 accords parfaits
majeurs Fa-La-Do-Fa, Do-Mi-Sol-Do, et Sol-Si-Ré-Sol, établis
sur la base de quintes et de tierces pures. Il en résulte l'accord
de la gamme diatonique.
Pour obtenir les rapports "manquants", il a élaboré
le principe de passer d'une fondamentale à l'autre, en marche d'escalier,
nouvelle fondamentale sur laquelle on connecte un nouveau système
de résonance. (C'est toujours le "système de muance"
qui consiste à passer d'un tétracorde à l'autre).
Un peu comme ceci :
Fa - La - Do - Fa
Do - Mi - Sol - Do
Sol - Si - Ré - Sol
La gamme de Zarlino connaît deux types de ton, le ton mineur (10/9)
et le ton majeur (9/8). En passant d'une marche à l'autre, notamment
de la quinte de l'un à la tierce de l'autre, les tons (Ré-Mi
et Sol-La) sont réduits d'un comma syntonique égal à
81/80 puisque chaque quinte pure de l'un passe à la tierce pure
de l'autre. Il en résulte un décalage de ce comma syntonique.
Le comma syntonique est la différence
entre le Mi tierce pure de Do3 (harmonique 5) et celui obtenu après
avoir fait quatre quintes pures Do1-Sol1-Ré2-La2-Mi3 :
Do Ré Mi Fa Sol La Si Do
9/8 10/9 16/15 9/8 10/9 9/8 16/15
Ce qui permet bien le cumul des rapports purs :
Do Ré Mi Fa Sol La Si Do
9/8 5/4 4/3 3/2 5/3 15/8 2/1
Et encore ne s'agit-il là que de la gamme diatonique. Élargie
à 12 notes par octave, la gamme formée, nous dit Devie,
"devient une forêt infestée de loups".
Contrairement au système de Pythagore qui ne connaît qu'un
type de ton (9/8), la transposition est exclue avec cette gamme naturelle
dont l'objectif est d'obtenir des intervalles purs avec l'Ut. Il s'agit
de prolongements chromatiques qui n'ont plus de relation avec le véritable
fondamental de départ.
(C'est ce qui se passe aussi avec les "accords
à intonation pure ()"
qui se construisent au coup-par-coup).
On se borne à justifier tous les rapports désirés.
C'est ainsi que l'on a ajouté des tierces pures à partir
de chaque degré diatonique, le Fa# étant alors la tierce
du Ré pris comme nouveau fondamental, le Mi bémol tierce
descendante du Sol pris à son tour comme nouveau fondamental, et
ainsi de suite.
Fa - La - Do - Fa
Do - Mi - Sol - Do
Sol - Si - Ré - Sol Ré-Fa#
Mib -
Sol
etc.
Cela avait abouti, afin de pouvoir transposer, à la conception
de claviers comportant plus de 12 touches à l'octave, tel que Mersenne
nous les expose dans sa proposition
XVI ()
et qui sont l'illustration de l'utilisation de la gamme de Zarlino (rapportée
par Salinas). Sans plus d'avenir que quelques "feintes brisées"
(Doppel demitonien) pour avoir Ré# et Mib, ou Sol# et Lab.
On a préféré établir un tempérament
mésotonique ()
ne comportant que des "tons moyens", ni majeurs ni mineurs,
tous égaux, en sacrifiant les quintes mais en conservant, au début,
une ou deux feintes brisées. D'où la dénomination
"mésotonique", meantone en anglais, médio-tono
en italien et Mitteltönig en allemand.